LES MOTS OUVERTS
Quelques techniques pour enrichir rapidement son vocabulaire dans une langue étrangère.
par Jacques VIGNE psychiatre, spécialiste de l’Inde
Depuis l’écriture de la première version de cet article en 1991, Jacques Vigne pratique personnellement cette méthode des mots ouverts puis recomposés qu’il a trouvée et qui correspond à des techniques anciennes de mémorisation des védas chez les brahmanes de l’Inde. Avec certains développements, ce texte est devenu un petit livre en italien publié à Milan par MC Editrice en 2017 Il Giocco delle parole aperte. On lira aussi avec profit le texte qui accompagne celui-ci. Mots hybrides et neurones-miroirs qui a aussi été publié dans le livre en italien.
L’idée d’écrire cet article est venue à la fois de mon intérêt professionnel pour le fonctionnement de l’esprit, en tant que médecin-psychiatre, et de mon intérêt personnel pour les langues. Après mes études secondaires, bien qu’étudiant en médecine, j’ai continué une certaine pratique du latin et du grec. Lorsque j’ai fait des séjours en Allemagne, je parlais suffisamment la langue pour échanger à peu près normalement avec les habitants. Résidant depuis cinq ans en Inde, j’ai pris l’habitude de fonctionner de plus en plus sur quatre langues : il me semble que je rêve plutôt en français, j’utilise quotidiennement l’anglais, je lis chaque jour le journal en hindi, et je commence à me lancer dans des conversations philosophiques dans cette dernière langue. J’ai maintenant de bonnes bases en sanskrit également pour l’étude des textes classiques de l’Inde.
I ) LA MEMOIRE ET LES LANGUES
J’ai toujours été intéressé par les phénomènes de mémoire, d’une part parce que la mémoire est une des bases essentielles du développement de l’être humain : non seulement de son esprit au sens mécanique du terme, mais aussi de sa sagesse et de sa sensibilité : de Platon à Proust en passant par Saint Augustin, Raymond Lulle ou Nerval, réminiscence et intériorité ont été étroitement associées. D’autre part, comprendre les phénomènes de mémoire a un aspect utilitaire : du début à la fin des études, on demande beaucoup aux étudiants de mémoriser : chaque branche de la connaissance a son type de mémoire particulier, nous nous intéresserons ici surtout à la mémoire nécessaire à l’apprentissage du vocabulaire dans une langue étrangère.
Ceux qui ont l’habitude d’apprendre des langues développent chacun leurs méthodes, leurs recettes pour mémoriser rapidement. Les pédagogues ont eux aussi élaboré des procédés bien connus qui aident à soutenir l’intérêt et l’attention des élèves pendant les classes de langues, facteurs essentiels de mémorisation. Les moyens pratiques que je présente ici ne viennent pas en remplacement de toutes ces méthodes, mais en complément, ou en confirmation de certains de leurs aspects. Une des bases de l’enseignement des langues, c’est de stimuler leur usage actif et de maintenir dans le groupe d’étudiants une participation et un investissement émotionnel. Il y a eu à ce propos une expérience de psychologie intéressante : on dit à des gens en état de relaxation une liste de mots d’une langue étrangère sur un ton neutre, en leur demandant d’en mémoriser le plus possible. On note les résultats de ce groupe témoin. Dans un second groupe, on dit la même liste de mots, mais le ton n’est plus neutre : il exprime toutes sortes d’émotions allant de la joie à la peine. Le second groupe mémorise mieux que le premier. Des méthodes comme la suggestopédie du Dr Lozanov (1) combinent la relaxation, l’apport d’un grand nombre de mots nouveaux en même temps et les jeux de rôle. Ceux-ci favorisent évidemment l’investissement émotionnel et la participation active des élèves. Un moyen simple d’étendre à plusieurs registres de la mémoire l’impact d’un mot nouveau afin de mieux le mémoriser, c’est de l’écrire plusieurs fois en disant son sens à voix haute. On associe ainsi les stimulis auditifs aux stimulis visuels et gestuels.
J’ai essayé de nombreuses méthodes, de nombreux procédés pour favoriser un apprentissage rapide du vocabulaire. Après avoir trouvé la méthode ci-dessous, je me suis aperçu qu’elle correspondait d’assez près à aux techniques d’apprentissage des védas développées par une tradition orale millénaire, ce qui en soi représente un travail considérable. Il s’agit d’intervertir les syllabes des versets à mémoriser selon diverses combinaisons : à la place de les réciter dans l’ordre 1 2 3 4 5, on peut faire 13 24 35 ou 5 3 4 2 3 1 etc. Cela favorise l’exercice d’une attention complète et multiplie les zones de recouvrements des syllabes entre elles, donc les associations et donc les chances de mémorisation exacte. D’autres méthodes avaient un intérêt plutôt théorique. Je me suis intéressé à l’histoire des techniques de mémoire, en particulier par la lecture d’une étude très documentée intitulée : ‘L’Art de la Mémoire’ (2). C’était intéressant du point de vue psychologique et historique, mais ne donnait guère de moyens pratiques pour la mémorisation du vocabulaire. De même, les livres de psychologie sur la mémoire font référence à un certain nombre d’expériences qui ont amené un progrès dans la recherche scientifique, mais ne donnent guère d’éléments utilisables en pratique. La mnémotechnie développe souvent le mécanisme de base de la mémoire, qui est l’association : c’est là son utilité. Cependant, les moyens mnémotechniques en eux-mêmes sont souvent plus difficiles à mémoriser que ce que l’on voulait retenir au départ, et c’est là leur limite.
Je me suis beaucoup intéressé à la relaxation thérapeutique (3) et aux possibilités de visualisation dans un état de détente. Autant la visualisation a un intérêt considérable dans le domaine de la psychothérapie, autant il me semble restreint dans le domaine des langues. Même quand on sait bien visualiser un objet mentalement, ce qui n’est pas forcément facile, le fait de se le représenter en répétant le mot qui le désigne dans une langue étrangère ne réussit pas si bien, c’est au moins mon expérience. Visualiser un livre en répétant ‘book’ aide un peu, mais ce n’est pas si efficace ; cela est peut-être dû au fait que les mécanismes de visualisation et de langage sont très séparés au niveau du cerveau, le premier relevant du cerveau droit, le second du cerveau gauche. Les images sont une aide pédagogique utile, surtout au début, mais je vois mal comment développer par exemple l’anglais littéraire à l’aide d’images à chaque fois. Le plus rapide dans mon expérience est de trouver des moyens d’associer non pas le mot à l’image, mais le mot au mot directement, afin de rester dans le même type de mécanismes mentaux. Il est possible d’ailleurs que ce qu’on croit être une association ‘ image-mot étranger’ soit en fait surtout une association ‘mot français-mot étranger’ ; il est naturel pour un français voyant l’image d’un livre de penser immédiatement ‘livre’. S’il décide de dire ‘book’ en même temps, les deux s’associent spontanément.
Nous ne sommes pas des enfants nouveaux-nés : il est certes séduisant d’espérer pouvoir apprendre une langue avec la fraîcheur intellectuelle et émotionnelle d’un enfant d’un an, mais c’est peu réaliste ; tout au plus, on peut se détendre, apprendre comme par jeu, ne pas avoir peur de se tromper ou d’être ridicule, mais on reste obligé de tenir compte du conditionnement de départ de sa langue maternelle, fortement ancrée déjà à la fin de la première enfance. L’idéal est bien sûr de penser dans la nouvelle langue, mais comment faire pour atteindre ce niveau rapidement, surtout si on ne vit pas dans le pays ? Une méthode qui réussit bien quand elle est possible, c’est de chercher à comprendre l’étymologie du mot à apprendre, de voir d’où il vient, comment il est composé et, au moins pour les langues indo- européennes, de voir si sa racine peut être rapprochée d’un mot français. Cependant, quand il n’y a pas ou qu’on ne voit pas d’étymologie commune, comment faire ?
Nous en venons au problème central de cet article : il y a un mot français, sa traduction en une langue étrangère à côté, comment faire pour associer étroitement les deux, pour que la mention d’un des deux mots rappelle l’autre immédiatement non seulement dans notre vocabulaire passif, mais aussi dans notre vocabulaire actif ? Comment parvenir à ce but quand on se retrouve seul en face d’un texte ou d’une liste de vocabulaire à mémoriser, qu’on n’a pas de professeur pour vous faire parler ou qu’on n’habite pas dans le pays étranger ? Certes, la pratique fera que ‘ça rentrera tout seul’, mais comment faire pour que ‘ça rentre tout seul’ plus vite ?… Y a-t-il des moyens plus élaborés et plus efficaces que le simple fait de répéter ‘livre-book’, ‘livre-book’ le plus de fois possible ? Les techniques que je présente ci- dessous sont simples ; cependant, elles ne se sont clarifiées dans mon esprit qu’après un long temps de pratique de l’apprentissage des langues ; c’est bien pour cela qu’il m’a semblé utile d’écrire à leur sujet, et de préciser ces moyens ‘simples’ qui ne sont pas si évidents, ou qui sont tellement évidents qu’on ne les prend pas clairement en conscience, et qu’on ne peut les exploiter systématiquement. J’ai été aidé dans leur mise au point par la pratique de la relaxation profonde et du sommeil conscient : j’ai pu mieux comprendre comment les mots s’associaient, se mélangeaient entre eux de manière irrationnelle, au moins en apparence. Ce sont les mêmes mécanismes d’associations qui, quand ils restent inconscients, créent la confusion entre les mots et qui, s’ils deviennent conscients, sont le plus puissant moyen de mémorisation.
II) QUELQUES TECHNIQUES DE ‘ MOTS OUVERTS ‘
1) Technique de croisement
a) Technique de départ
Il s’agit de créer momentanément des mots nouveaux intermédiaires entre la langue de départ et la langue d’arrivée, nous utiliserons pour les exemples le français et l’anglais. Supposons que nous voulions apprendre le mot ‘pilferer’ qui signifie ‘chapardeur’. On coupe les mots en deux et l’on crée deux mots mixtes avec chacun une moitié française et une moitié anglaise. On répète ces mots rapidement un petit nombre de fois :
pilferer *pil-pardeur chapardeur *cha-ferer
Les mots intermédiaires ont une existence éphémère : ils sont oubliés rapidement mais l’association entre ‘pilferer’ et ‘chapardeur’ reste solidement ancrée dans la mémoire. L’association marche d’autant mieux qu’on peut trouver des lettres communes ou qui se ressemblent, si possible des consonnes et si possible au même endroit dans le mot. Dans cet exemple, le ‘fer’ de ‘pilferer’ et le ‘par’ de ‘chapardeur’ se ressemblent : il s’agit des secondes syllabes, débutant par les lettres voisines ‘f’ et ‘p’ (cf ph —-f ) et le ‘r’ étant commun. On peut dont prévoir que le mot sera mémorisé assez facilement. Il est compréhensible que les consonnes soient des points d’ancrage de la mémoire plus sûrs que les voyelles, car les consonnes forment le squelette du mot, elles structurent les racines : il suffit de se souvenir de l’Hébreu biblique où l’on n’écrivait pas les voyelles.
b) Chercher les synonymes
Il ne faut pas hésiter à choisir, parmi les différentes traductions possibles d’un mot anglais, le mot français qui lui ressemble le plus dans sa forme, avec lequel il a le plus de lettres communes : par exemple ‘splutter’ signifie ‘cracher’ ‘crachoter’, mais il signifie aussi ‘bredouiller’. Dans ce dernier sens, on retiendra l’association plus facile car on pourra faire le croisement suivant :
splutter *splut-ouiller bredouiller *bred-ter
On remarquera que le ‘b’ de bredouiller est une labiale comme le ‘p’ de ‘splutter’, le ‘r’ et le ‘l’ sont deux liquides, et sont tous deux vers le début de la première syllabe. Le mot a donc des chances d’être retenu assez aisément. Dans l’exemple de la technique de départ, on peut remplacer ‘chapardeur’ par ‘pillard’ qui s’associe plus naturellement à ‘pilferer’, même si l’on ne sait pas s’il s’agit d’un rapprochement fortuit ou d’une réelle étymologie commune. Ici, notre premier propos est de mémoriser.
c) Cas des mots avec préfixes
La séparation naturelle entre préfixe et racine indique comment faire le croisement :
submergé (par l’émotion) *sub-whelmed overwhelmed *over-mergé
La mémorisation sera facilitée par la présence d’un ‘m’ commun dans les secondes syllabes. Il ne faut pas hésiter à faire ce croisement dans le cas fréquent des mots anglais dont on comprend assez facilement le sens, mais qu’on ne pense pas à employer dans son vocabulaire actif, c’est-à-dire dans le sens thème : par exemple, on comprend assez facilement que l’anglais ‘proprieties’ signifie ‘convenances’ dans le sens de ‘bonnes manières’, ‘ce qui est approprié’. Ce n’est pas pour autant qu’on pensera immédiatement à ‘proprieties’ quand le français ‘convenances’ viendra à l’esprit ; on fait donc un croisement : *con-prieties et *pro-venances. Quand on apprend l’anglais, ces cas se rencontrent fréquemment, de même que dans les cas suivants :
d) Cas des mots à étymologie évidente
Il est facile à comprendre que ‘pinecone’ signifie ‘pomme de pin’, cette dernière étant conique. Cela ne signifie pas qu’on pensera immédiatement à ‘pinecone’ en voulant traduire ‘pomme de pin’ : là encore, le croisement suivant, très simple, sera utile :
pine cone *pine pomme pomme de pin *cone de pin
e) Croisements directs
Dans les cas fréquents où il n’y a pratiquement aucune lettre commune, ni même similaire, on peut malgré tout faire un croisement :
puny *putif chétif *ché-ny
Mais il faudra le répéter plus longtemps, car il sera plus difficile à mémoriser. Dans cet exemple, une recherche de synonyme aidera : on pourra associer plus directement ‘puny’ à ‘petit’ ; à partir de là on se souviendra en fait sans trop de difficultés que ‘puny’ a une nuance de ‘malingre’, ‘chétif’.
2) Technique de ‘ l’arc-en-ciel’
Il s’agit de croiser les mots, de les mélanger, mais cette fois-ci non plus syllabe par syllabe, mais lettre par lettre, en faisant un dégradé continu comme les couleurs de l’arc-en- ciel. C’est particulièrement utile si l’on veut associer deux mots étroitement, par exemple un mot anglais et sa traduction dont on ne réussit jamais à se souvenir :
glimmer glimmer *limmer
*lummer luire *luer
luire
On ne doit pas confondre ‘glimmer’ avec ‘glitter’, ‘scintillement’ :
glitter glitter *scitter
scintillement *scinter scintillement
Si ce procédé est utile pour retenir les mots courts de l’anglais, il n’est guère utilisé pour retenir les mots longs : en effet, le problème ne se pose guère. Soit les mots longs viennent directement du français, soit ils sont facilement réductibles à une combinaison de deux mots courts. (Par exemple ‘circumstantial’ et ‘workshop’).
3) Technique de l’inclusion
Le plus souvent, le mot et sa traduction n’ont pas le même nombre de syllabes ; on peut alors tenter d’inclure le plus court dans le plus long. Par exemple, ‘hubbub’ signifie ‘vacarme’, ‘remue-ménage’ : ceci ne nous aide guère, car il n’y a pas de consonnes communes entre le français et l’anglais : par contre, ‘hubbub’ peut signifier ‘tohu-bohu’ : c’est ce mot qu’il faut utiliser pour faire l’inclusion, en créant un mot intermédiaire qui sera un ‘mot farci’ pourrions-nous dire pour les amateurs de cuisine :
tohu-bohu
hubbub
*to-hubbub-hu
Il est évidemment plus facile de choisir pour l’inclusion la partie du mot long qui
ressemble le plus au mot court. ‘Squash’ signifie ‘aplatir’ ou ‘presser’, ce qui ne nous aide guère ; mais il signifie aussi ‘écraser’ : on peut à ce moment là l’inclure en créant le mot intermédiaire ‘é-squash-er’. ‘Keen’ ‘aiguisé’, donnera lieu au mot intermédiaire ‘ai-keen- ser’. On peut associer évidemment la technique de l’inclusion à celle de l’arc-en-ciel :
célibataire (femme) spinster
célibataire *célispataire *célispastaire *célispinster
spinster
4) Technique de la lettre-charnière
Une difficulté dans l’apprentissage d’une langue étrangère, c’est que souvent, il n’y a pas plus qu’une ou deux lettres communes, et encore, elles ne se trouvent pas à la même position dans le mot : on se tire d’affaire néanmoins en accrochant les deux mots à la suite l’un de l’autre en s’aidant d’une ‘lettre-charnière’ commune :
matraque
truncheon
*matruncheon
Si on a peur de ne pas retenir cette association qui est plus fragile que les précédentes,
on peut rajouter un ou plusieurs mots intermédiaires selon la technique de l’arc-en-ciel :
matraque matraque *matraqueon *matracheon
truncheon *matruncheon truncheon
Même s’il n’y a pas de lettre commune pour servir de charnière à l’accrochage des deux mots, des lettres du même groupe comme les deux liquides ‘r’ et ‘l’ pourront suffire :
poireau poireau *poileau
*poileauk leek *poileek leek
5) Technique des ‘mots qui tournent’
C’est en fait un cas particulier de la technique précédente, quand il y a des lettres- charnières à la fois au début et à la fin des deux mots à associer:
loop
boucle
loop-boucle-loop-boucle-loop-boucle…
C’est une éventualité assez rare, mais qui mérite d’être recherchée car elle permet
d’associer immédiatement deux mots de manière très étroite ; en effet, la mémoire aime les structures circulaires : il suffit de se rappeler des comptines enfantines dont la fin se raccroche au début ; on a du mal à les oublier.
6) Technique des jeux de mots et des phrases sans queue ni tête
Nous nous éloignons ici un peu des mélanges de mots, mais comme il s’agit d’un procédé fort utile et bien connu, je pense, de ceux qui apprennent les langues, je le mentionne
ici : il s’agit de rassembler dans la même phrase des mots qui se ressemblent et qu’on ne doit pas confondre, par exemple :
‘He made a pun saying that the nun’s fun was to run after buns’.
Evidemment la traduction française perd tout le charme du calembour, et ne garde pour elle que la pauvreté du sens :’Il a fait un calembour en disant que l’amusement des religieuses, était de courir après les petits pains au lait …’ Cette technique est particulièrement utile quand on cherche un mot nouveau dans un dictionnaire anglais-français et qu’on ne veut pas le confondre avec les mots qui le précèdent et qui le suivent et que l’on connaît plus ou moins. Il est bon pour éviter la confusion, de combiner cette méthode des jeux de mots avec les techniques de mélange, permettant d’associer directement les mots-clés du calembour à leur équivalent français (par exemple : pain, bain, bun). Cette méthode est efficace car active, on doit chercher à construire une phrase nouvelle ; en général plus cette phrase est comique ou absurde, mieux on la retient…ainsi va la mémoire ! Sans même utiliser de jeux de mots, on peut simplement intégrer le mot ou l’expression à retenir dans une phrase anglaise, puis construire ensuite une seconde phrase anglaise ne contenant cette fois-ci que des mots connus, et ayant le même sens que la première phrase.
La mémoire fonctionnant principalement par association, plus on relie un mot à d’autres mots, plus on a de chances de le retenir. Je pense que la plupart de ceux qui ont l’habitude d’apprendre des langues utilisent ce principe, chacun à sa manière. Pour clarifier, on peut dire qu’il y a deux groupes d’associations possibles, les associations de sens et les associations de sons.
a) Les associations de sens consistent à rechercher dans le vocabulaire qu’on connaît déjà bien le maximum de synonymes, ou presque synonymes, du mot qu’on veut apprendre. Prenons, par exemple, ‘to thwart’, ‘contrarier, ‘gêner’. On l’associera à ‘to prevent’, ‘to annoy’, ‘to oppose’, ‘to bother’, ‘to irritate’, ‘to cross’, ‘to frustrate’…etc… Ce serait un peu artificiel de vouloir rassembler les synonymes à l’intérieur d’une même phrase, puisqu’ils devraient naturellement se retrouver au même endroit dans cette phrase. Par contre, on peut utiliser les techniques de mélanges de mots décrites ci-dessus pour associer ‘to thwart’ aux synonymes déjà connus, en particulier à celui qui viendra en premier lieu à l’esprit pour traduire ‘contrarier’. Ceci dépend de chacun.
b) Les associations de sons consistent à rechercher le maximum d’homonymes, ou presque homonymes, au mot qu’on veut apprendre : reprenons l’exemple de ‘to thwart’, ‘contrarier’ : on peut le rapprocher entre autres de ‘wart’, ‘verrue’ et de ‘thirty’, ‘trente’, et l’on fera une phrase du genre : ‘ Should you get thirty warts on your face, it would thwart you from going on ride’, ‘Si vous aviez trente verrues sur le visage, ce serait contrariant’… De manière générale, il est clair que le fait de construire des phrases en intégrant des mots nouveaux est la première méthode à laquelle on pense pour les intégrer dans le vocabulaire actif.
7) La technique du ‘ père et de la mère’
Cette technique est surtout utile quand on commence à apprendre une langue très différente du français et qu’on se trouve en face de mots assez longs non-analysables en préfixe-racine-suffixe, et qu’il faut donc retenir par un effort de mémoire pure. Ce cas est assez rare en anglais, nous l’avons vu.
Prenons cependant par exemple ‘to jeopardize’ qui signifie ‘faire péricliter’. On cherche à diviser le mot en deux moitiés et à rapprocher chacune d’entre elles d’un mot anglais déjà connu. Les deux mots ainsi trouvés deviennent ‘père et mère’ du mot nouveau. Par exemple ‘jeo’ fait penser à ‘jewel’ (prononcé ‘jou-el’) et ‘pardize’ fait penser à ‘paradise’. On rassemble ensuite la ‘petite famille’, père, mère et fils dans une phrase unique qui a évidemment de fortes chances d’être absurde ou un peu ésotérique : ‘He who seeks the jewel of Paradise will never be jeopardized’ : ‘Celui qui cherche le joyau du Paradis ne périclitera jamais’. Signalons en passant que lorsqu’on cherche des ‘pères et mères’, il semble plus efficace de prendre des noms communs que des noms propres. Supposons qu’il y ait eu un groupe de Rock n’ roll s’appelant ‘Jeopard’ et une poétesse irlandaise de la fin du XIX° siècle nommée ‘Ize’ ; les associer ne serait pas si efficace pour retenir ‘jeopardize’. Cela a peut-être quelque chose à voir avec le fait que, dans la dégradation pathologique de la mémoire en début de démence sénile, ce sont les noms propres qui sont oubliés en premier.
8) Comment mémoriser le genre des mots
C’est une question qui ne se pose guère pour l’anglais, mais qui représente un gros travail de mémoire pour d’autres langues. Juste à titre d’exemple, prenons le cas de l’hindi, où il y a des genres masculins et féminins comme en français. ‘Manzil’ signifie ‘étage’, mais est au féminin contrairement au français. Pour mémoriser cette différence de genre, ce qui réussit le mieux dans mon expérience est de mémoriser un synonyme, même éloigné, ‘d’étage’ qui soit du féminin. ‘Niveau’, ‘plan’ sont du masculin et ne feront donc pas l’affaire. Par contre ‘surface’ pourra être associé à ‘manzil’ selon les techniques de mélanges de mots ci-dessus. Ainsi, quand on pensera ‘étage’, il y aura à la fois ‘manzil’ et ‘surface’ qui reviendront en mémoire, et l’on saura que c’est parce que ‘manzil’ est du féminin, contrairement à ‘étage’. On peut s’aider également en trouvant, même à l’intérieur du mot, une lettre qui soit un indicatif sûr du genre ; par exemple, en hindi, le ‘i’ est un indicatif assez sûr du féminin. Dans ‘manzil’, le ‘i’ n’est pas tout à fait à la fin du mot, mais il est présent, et cela suffit à faire le lien mnémonique.
9) Elargissement du vocabulaire actif
Toutes les techniques ci-dessus peuvent être utilisées pour l’élargissement du vocabulaire actif. Quand on commence à parler une langue étrangère, on se constitue un vocabulaire simple qu’on connaît bien, mais on a du mal à l’enrichir. A cause de la rapidité nécessaire quand on parle, on choisit constamment les mots qu’on connaît le mieux. Tout se passe comme si le vocabulaire déjà actif agissait comme une ornière, et qu’on ne puisse en sortir pour utiliser des synonymes plus précis que pourtant on connaît dans le sens de la version. Il s’agit d’un problème courant. On sait par exemple traduire ‘prendre’ par ‘take’ ; on voit un jour l’expression ‘I had to draw on my savings’ : ‘J’ai dû prendre sur mes économies’. Comment penser à utiliser ‘to draw’ et non ‘to take’ dans ce contexte ? Il faut bien sûr associer ‘prendre’ à ‘draw’ par la méthode de l’arc-en-ciel, mais il n’est pas inutile de prendre le temps d’associer directement ‘take’ à ‘draw’, par exemple selon la même technique :
take Take *drake
draw *drawke draw
Le processus de mémoire ne sera donc plus une ornière, mais une aide: on pensera ‘prendre’, et ‘take’ viendra immédiatement selon le conditionnement ancien, puis ‘draw’ apparaîtra selon le nouveau conditionnement, et sera disponible si le contexte le rend plus souhaitable. Nous avons vu qu’il était utile d’associer un mot anglais nouveau à ses synonymes déjà connus. Par contre, il est inutile dans mon expérience d’essayer de retenir deux mots nouveaux en les associant entre eux, qu’ils se ressemblent au point de vue du son ou du sens. On risque trop, soit de les confondre, soit de les oublier tous les deux… Mieux vaut que le mot nouveau soit associé à un mot bien connu, que ce soit un synonyme anglais ou la traduction française. Cela fait un point d’ancrage solide dans la mémoire.
Ces techniques de mélanges peuvent être utilisées non seulement pour des mots séparés, mais aussi pour des expressions qui sont alors considérées comme un tout. Le premier pas est bien sûr de comprendre la nouvelle expression anglaise, l’image qui est utilisée, etc… Les techniques de mélanges ne sont là que pour accélérer le mécanisme d’association immédiate particulièrement important pour l’intégration au vocabulaire actif. On crée des expressions intermédiaires, ce qui semble souvent encore plus étrange que pour les mots :
prendre froid catch cold
à tout prendre all in all
*catch froid *prendre cold
*à tout all
*all in prendre
L’association est meilleure si l’on peut trouver la moindre lettre-charnière :
solution de facilité *solution de faç-out-té
easy way out *eas-solution de way-cilité, etc…
Cela permet de se rapprocher petit à petit du niveau des interprètes professionnels qui ne traduisent plus les mots mais les expressions; ils ont appris, avec l’habitude, à les associer immédiatement entre elles. Il est bien possible que ces phénomènes de mélanges se fassent dans la période de rêve chaque nuit ; cependant, comme il est inconscient, il peut donner lieu aussi bien à des confusions qu’à une mémorisation exacte.
10) Place et fonction des lettres communes dans l’apprentissage du vocabulaire
Ces techniques peuvent prendre, pour celui qui en a l’habitude, une place importante dans l’apprentissage du vocabulaire ; en effet, elles concernent les mécanismes fondamentaux de la mémorisation. Le réflexe de rechercher des lettres communes pour faciliter les associations mnémoniques en dehors même de tout lien étymologique prouvé est clair dans le ‘Vocabulaire Indo-Européen’ de X. Delamarre (4).
Il donne par exemple comme premier sens de la racine ‘swadus’ ‘doux’, bien que ‘swadus’ soit relié étymologiquement à ‘suave’ et non pas à ‘doux’. Ou bien, autre exemple, il donne comme premier sens de la racine ‘nigwtos’ ‘nettoyé’, bien que les deux mots ne puissent être reliés étymologiquement. Le rapprochement n’est qu’une aide à la mémoire, mais cette aide à la mémoire n’est pas un luxe quand on se lance dans la rédaction d’un lexique de l’Indo-Européen…
J’espère que les quelques techniques décrites ci-dessus aideront le lecteur. Sans doute se sera-t-il aperçu qu’il avait déjà ses méthodes à lui, et qu’elles ont peut-être quelques points communs avec les procédés que j’ai décrits. Les différentes approches peuvent être combinées pour obtenir une plus grande efficacité. Comme toutes les méthodes quand elles sont présentées de manière systématique point par point, les ‘mélanges de mots’ peuvent paraître compliqués ou bizarres au lecteur qui n’y a pas plus ou moins déjà pensé par lui- même. Cependant, je maintiens que le grand intérêt de ces techniques, c’est qu’elles sont simples et souples. Après quelques semaines de pratique, on peut apprendre les mots en quelques secondes ou quelques dizaines de secondes au fur et à mesure de leur apparition dans un texte ; cela dépend bien sûr de leur degré de similarité. Depuis que j’emploie assez systématiquement ces procédés de mélanges de mots, il est rare que j’aie à apprendre deux fois le même mot, ce qui m’arrivait assez souvent auparavant. Les mélanges de mots sont des recettes pour accélérer l’apprentissage du vocabulaire : ils ne remplacent ni la motivation pour apprendre une langue, ni les exercices de grammaire, ni le temps consacré à la pratique : en un mot, ils ne dispensent pas de travailler…J’ai un ami qui parle neuf langues : à son avis, le meilleur moyen d’apprendre est de commencer à faire un stage intensif pour acquérir les structures grammaticales et le vocabulaire de base. Après seulement, on peut apprendre progressivement en parlant, écoutant ou lisant un petit peu chaque jour.
III) LES ‘MELANGES DE MOTS’ EN PSYCHOLOGIE, EN HISTOIRE ET EN POESIE
Il n’est pas inutile de faire part de quelques réflexions de psychologie après avoir traité la partie technique de cet article. Je me suis demandé pourquoi je n’avais pas pensé plus tôt à ces procédés au fond simples et efficaces de mélanges de mots, et pourquoi on en parle aussi peu dans les ouvrages sur la mémoire et sur l’enseignement des langues : il me semble qu’il y a une résistance psychologique, une peur de faire des mots qui n’existent pas. Les nourrissons, avant la phase de langage proprement dite, s’amusent à faire des mots qui n’existent pas. Après, toute l’éducation du langage consiste à leur faire utiliser des ‘mots qui existent’. S’ils ne sont pas directement réprimandés en utilisant leurs propres mots, ils se sentiront au minimum isolés ou rejetés par le fait qu’on ne les comprenne pas. De plus, la création de mots nouveaux évoque dans l’inconscient des états psychologiques extrêmes. Ne dit-on pas ‘bafouiller de colère’ ? Le bégaiement n’est-il pas augmenté s’il y a une agitation émotionnelle ? Les schizophrènes graves, bien qu’ayant un cerveau neurologiquement sain, ont un langage incompréhensible qu’on appelle ‘jargonophasie’ ou ‘schizophasie’. Ils ont des états émotionnels tellement violents que leur langage se déstructure et devient un jargon. Par exemple, un schizophrène pourra traiter un infirmier qui veut l’obliger à sortir de son lit pour aller déjeuner ‘d’idiocile’, mélange ‘d’idiot’ et ‘d’imbécile’.
A l’autre extrême de la gamme émotionnelle, les chrétiens membres de groupes charismatiques saisis par des sentiments de louange ou d’action de grâces se mettent à ‘parler en langue’ pour quelques temps. On entend sortir de leur bouche un flot de syllabes assez mélodieux que certains autres participants qui sont dans le même état peuvent parfois interpréter. Bien que les littéraires soient des spécialistes du langage, ils n’osent que rarement faire ‘exploser’ ce dernier. Il fallait avoir la vitalité d’un Rabelais, alliée à une bonne connaissance du latin, du grec et sans doute des dialectes français de l’époque pour pouvoir former à profusion des mots nouveaux. L’impression qu’il cherche à transmettre au lecteur est celle de richesse intellectuelle et de comique tout à la fois. Les auteurs qui l’ont suivi ont été plus ‘sérieux’, plus ‘secondaires’ dirait-on en langage psychologique. Même Victor Hugo, qui déclarait vouloir mettre ‘un bonnet rouge’ au dictionnaire ne s’est pas trop risqué à forger des mots nouveaux, si ce n’est des noms propres. Son ‘bonnet rouge’ est devenu avec le temps un bonnet de nuit bien bourgeois…Il s’est risqué une fois, à la fin de ‘Booz endormi’ à dire : ‘Tout reposait dans Ur et dans ‘Jérimadeth’, car effectivement, il y avait une rime à ‘- dait’ qui devait annoncer ‘…et Ruth se demandait…’
Actuellement, certains adolescents utilisent le ‘vers-l’en’, le langage à l’envers ; c’est évidemment lié à un désir de manifester une révolte, une non possibilité de communiquer ce qu’ils vivent au reste de la société. En tenant compte de tous ces éléments, on comprend mieux qu’il y ait une certaine résistance psychologique à faire des ‘mélanges de mots’. Il peut y avoir par exemple la peur de retenir les mots intermédiaires qui n’existent pas plutôt que le mot final en anglais. Je dois dire que cela ne m’est pratiquement jamais arrivé. En Inde, les gens aimaient découper les mots pour faire ce qu’on pourrait appeler des ‘étymologies populaires’. Cela permet d’associer directement au mot sur lequel on réfléchit d’autres notions que l’on veut y mettre, en prenant comme prétexte une syllabe commune. Les auteurs médiévaux d’Occident utilisaient aussi ce procédé. S’il a perduré en Inde, c’est peut-être dû à l’influence du sanskrit, langue qu’on ne peut comprendre qu’en découpant les mots composés, souvent assez longs, en parties signifiantes. Le procédé indien des ‘étymologies populaires’ ne fait que continuer cette analyse, simplement en la poussant un peu plus loin et en se servant d’associations plus libres, par exemple en prenant le prétexte d’une syllabe commune.
Les techniques de mélanges de mots semblent purement auditives ; qu’en est-il pour ceux qui ont une ‘mémoire visuelle’ ? Pour répondre à cette question, il faut déjà dire que le langage est avant tout du domaine auditif, si on prend ‘langage’ dans son sens ordinaire. C’est une donnée de départ, il faut faire avec. Des moyens qui maintiennent l’esprit dans la sphère de l’auditif sont plus légers, et plus directs, que des méthodes qui font faire constamment des va-et-vient de la sphère auditive à la sphère visuelle. De plus, rien n’empêche, surtout au début, d’utiliser aussi les mélanges de mots, de manière visuelle, c’est- à-dire en écrivant les mots intermédiaires entre le mot de départ et le mot d’arrivée. Quand on s’observe, on s’aperçoit que ‘penser dans une langue’ reste en fait très longtemps la faculté de traduire rapidement du français dans cette langue ; à l’inverse, ceux qui peuvent ‘penser dans une langue’ seront capables de traduire rapidement en français ce qu’ils disent dans cette langue, même si la traduction n’est pas complètement précise. On ne peut guère se passer de cette phase d’association rapide pour laquelle les ‘mélanges de mots’ sont utiles.
En dehors de l’apprentissage des langues proprement dit, les mélanges de mots peuvent être employés pour la mémorisation de textes, par exemple de la poésie. J’ai toujours aimé apprendre des textes poétiques par cœur, d’abord en français, puis en latin et maintenant en sanskrit. Souvent, on retient assez facilement un demi vers, un vers ou une strophe, mais on a un problème pour reprendre la suite du texte. Quand on n’a pas de ‘souffleur’ à sa disposition pour ‘relancer la mécanique’, comment faire ? On peut tout simplement mélanger certains mots. Prenons par exemple, pour rester dans les grands textes, l’avant-dernière strophe du ‘Booz endormi’, dont nous citions le début ci-dessus :
Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre Brillait à l’Occident, et Ruth se demandait…
Il s’agit d’inclure le mot de début d’un vers dans la seconde moitié du vers précédent, en prenant comme lettre charnière une lettre, ou une syllabe commune. Avant de montrer en pratique ce que cela peut donner, je commence par demander pardon intérieurement à Victor Hugo pour les tortures étranges que je vais faire subir à son texte : heureusement, cela ne durera pas…
Tout reposait dans Ur et dans *Jer-astre-adeth’
Les astres émaillaient le ciel *proissant’ et sombre
Le croissant fin et clair, parmi ces fleurs de *l’ombrill’… *Br-Ruth-llait’ à l’Occident, et Ruth se demandait…
Entre le troisième et le quatrième vers, Hugo nous a donné un lien immédiat ‘ombre- brillait’. J’ai ‘inclus’ ‘Ruth’ dans ‘brillait’, car la strophe se finit, d’après son sens logique, après ‘à l’Occident’ ; on peut donc facilement prévoir un éventuel ‘trou’ de mémoire avant de reprendre ‘et Ruth se demandait’.
De manière générale au cours des études, on retombe souvent sur un type particulier de problème de mémoire. Il y a disons huit points-clés à retenir pour une question d’examen : on se souvient immédiatement d’un ou deux, on trouve en recherchant quatre ou cinq autres, et il y en a un ou deux dont on n’arrive jamais à se souvenir. Là encore, les mélanges de mots peuvent aider : il s’agit de résumer les points-clés en formules-clés, les formules-clés en mots- clés, et d’associer par mélange les quelques mots-clés qu’on oublie toujours à ceux qu’on retient toujours. J’avoue que j’ai développé les méthodes de mélanges de mots surtout pour perfectionner mon anglais et pour apprendre l’hindi et le sanskrit. J’avais déjà passé mes diplômes, et je n’ai donc guère eu besoin d’utiliser ces procédés pour mémoriser les mots-clés de questions ‘tombales à l’examen’. Cependant, rétrospectivement, je me dis que ces techniques m’auraient été bien utiles pour mes études de médecine. Pour beaucoup de matières, les examinateurs qui corrigent une copie attendent d’y voir un certain nombre de mots-clés, d’où l’utilité d’apprendre par association de mots-clés. Malheureusement, tout ceci ne dispense pas de travailler un petit peu quand même…
J’espère que ces réflexions et idées pour développer en particulier la mémoire des langues aideront les étudiants à tenir leur place dans l’Europe unie. Les gouvernements peuvent abattre les frontières douanières, mais il n’y a que les individus qui puissent abattre les frontières linguistiques en apprenant les langues des pays voisins ; cela ne se fait pas du jour au lendemain. Je souhaite au lecteur de développer sa propre expérience des procédés décrits ci-dessus ; qu’il apprenne en se jouant à mélanger les mots comme le peintre ses couleurs, ou le parfumeur ses essences…
La langue n’est qu’un instrument. Si on trouve des moyens de l’apprendre rapidement, cela permet de consacrer le temps gagné à autre chose. Certes, on parle à juste titre de l’art de la mémoire, que chacun développe à sa façon dans la mesure où il veut réussir dans ses études ou dans sa profession ; mais je voudrais également mentionner l’existence d’un ‘art de l’oubli’ : en tant que thérapeute du psychisme, je me suis rendu compte que cet art était des plus utiles dans l’évolution affective et intérieure des individus. Qui n’a pas été handicapé, à un moment ou à un autre de son existence, par le souvenir d’un passé qui n’était plus ? Qui ne s’est pas laissé prendre par les reflets des nuages du souvenir sur le lac de l’esprit ? Pour nous qui ne sommes pas Proust, combien de temps perdu à la recherche du temps perdu !…
Au fond, la mémoire habituelle a quelque chose de frénétique : elle cherche à accumuler le plus vite possible le plus de connaissances possibles. Elle veut posséder, et se débat indéfiniment dans le champ clos des acquisitions, c’est une mémoire de l’avoir. Il est cependant une autre mémoire, mémoire pacifique, mémoire antique s’il en est. Elle est en même temps constant rappel du présent. A ce propos, Platon parlait à juste titre de la réminiscence, qu’elle soit du Beau, du Bien ou du Vrai. C’est le souvenir de notre nature authentique, c’est la mémoire de l’Etre.
Dr Jacques VIGNE Hardwar-Bénarès, 1991 , et 2014
NOTES
1) ‘La Suggestopédie’ R.Laffont
2) ‘L’Art de la Mémoire’ Gallimard, coll NRF
3) ‘Relaxation Thérapeutique’ ouvrage collectif, Masson, coll ‘Abrégés’
4) ‘Le Vocabulaire Indo-Européen’ Lexique étymologique et thématique, Librairie
SUPPLÉMENT
A) QUELQUES EXEMPLES PRATIQUES DES PROCEDES DE ‘MELANGES DE MOTS’
Il y a en général plusieurs manières de mélanger les mots pour les associer dans la mémoire, il y a plusieurs chemins pour aller de l’un à l’autre. Ces chemins ne s’excluent pas mutuellement, au contraire, plus on en trouve, plus on a de chances de se souvenir de l’association entre un mot et sa traduction. Répétons-le, la méthode ne consiste pas à mémoriser les mots intermédiaires, mais le simple fait de les rechercher et de les trouver aide à mémoriser les mots de départ. En les construisant et en les répétant rapidement plusieurs fois, on s’habitue à manipuler activement les différentes parties des mots à associer dans un ordre différent à chaque fois, ce qui maintient l’attention éveillée ; ce ‘jeu de lego’ à partir de syllabes ou de lettres facilite l’apprentissage.
1) Exemples de base
-‘Trapu’ se dit ‘stabby’. On peut passer de l’un à l’autre par le chemin suivant :
trapu *tapu *stapu *stabbu stabby
-‘Docilement’ se dit ‘doggedly’ ; malgré le ‘do’ initial commun, le mélange suivant ne sera pas inutile pour confirmer l’association :
docilement *doggilement *doggedment doggedly
2) Synonymes
-‘To swarm’ signifie ‘pulluler’, mais le mot ‘fourmiller’ donnera plus facilement lieu à un mélange :
fourmiller *swourmiller *swarmiller swarm
3) Condensations
-‘To berate’ signifie ‘gronder’, « réprimander » en anglais littéraire. On condense la première syllabe ‘ber’ de ‘berate’ en ‘br’ :
berate *brate *grate *gront gronder
-‘Pilferage’ signifie ‘larcin’ :
pilferage *pilerage *pilarge *pilarcin larcin
-‘Cast’ signifie ‘trempe’ dans l’expression ‘a man of his cast’ ; on condense ‘cast’ pour l’associer à ‘trempe’ sans changer le rythme syllabique de ce dernier on fait donc : ‘a man of his *cstrempe’…
4) Inversions
On met la dyslexie qu’il y a en germe chez chacun au service de la mémoire : -‘Farce’ peut se dire ‘prank’ ; on invertit le ‘a’ et le ‘r’ :
farce *frace *prace prank
-‘Marmaille’ se dit ‘brood’ :
marmaille *mramaille *bramaille *broodaille brood
-‘Strapontin’ se dit ‘tip-up seat’ :
strapontin *seatpontin *seat tipon *seat tip-up tip-up seat
5) Mots composés
On peut mélanger les mots composés ou expressions toutes faites au même titre que les mots simples : ‘pierre d’achoppement’ se dit ‘stumbling block’. L’association la plus délicate sera entre ‘achoppement’ et ‘stumbling’ : on peut créer les mots intermédiaires : ‘pierre d’*astoppement’ et ‘pierre d’*astumblement’ en se fondant sur la similarité du ‘-pp’ et du ‘b’.
-‘To skip off’ est une expression familière signifiant ‘s’enfuir’. Ceux qui savent un peu d’anglais auront tendance à dire a priori ‘to run away’. On peut donc associer les deux déjà par un croisement simple : *to skip away’ et *to run off’ ; on peut ensuite compléter par la technique de l’arc-en-ciel : *to rip away’ ; *to skip away’ ; *to skip off’.
-‘Nay’ signifie ‘qui plus est’, ‘voir même’ ; il est un peu trop long d’essayer d’imaginer une phrase où ‘nay’ peut être inclus ; on peut inclure directement ‘nay’ dans ses traductions françaises par exemple de la façon suivante : *qui plus nay’ et *voire nay’.
6) Mélanges de mots spontanés
Chaque langue fait ses mélanges de mots spontanés qu’on sent bien quand on en a une certaine habitude : si l’on connaît le sens de ‘to snap’ ‘briser’, ‘to snatch’ ‘saisir vivement’, ‘to snip’ ‘entailler légèrement’, on ne s’étonnera pas trop du sens de ‘to snick’ ‘tailler d’un coup de ciseau’.
-‘Se sentir fébrile’ pourrait se traduire par ‘to feel feverish’, mais les anglais diront volontiers ‘to feel shivery’ (‘se sentir tremblant’). Pour se souvenir de cela, on peut mélanger ‘feverish’ et ‘shivery’ en faisant une boucle :*feverish-shivery-feverish-sh…’
– Dans l’expression familière ‘to hog the road’ signifiant ‘tenir la route’ en parlant d’une voiture, on pourra faire un rapprochement bien sûr avec un sens de ‘to hog’ qui signifie ‘s’arquer’, mais on pourra penser également au mélanges de mots possibles avec ‘to hold the road’ et ‘to hug (embrasser) the road’… Cela aidera la mémorisation.
– De même, pour apprendre l’expression ‘a callow youth’ ‘un jeune inexpérimenté’, ‘un novice’, on pourra associer cela à l’idée de ‘a shallow calf’ ‘un veau superficiel’…etc…
7) Mélanges d’expressions
On peut mélanger les expressions à la manière des mots, en prenant toujours autant que possible les lettres ou syllabes similaires :
– ‘To be on the right tack’ signifie ‘être sur la bonne voie’. Ici, il suffit de mélanger ‘voie’ et ‘tack’, par exemple : ‘to be on the right *toie’. Comme on sait en général traduire ‘voie’ par ‘way’, on peut faire un second mélange : ‘to be on the right *wack/*tay’. Il y a sans doute un ‘mélange spontané’ entre ‘tack’ et ‘track’.
– ‘Embêtant comme la pluie’ se dit ‘as dull as ditchwater’. L’association entre ‘embêtant’ et ‘dull’ est plus aisée qu’entre ‘pluie’ et ‘ditchwater’. Ce sera donc sur ces deux derniers termes qu’il faudra insister, en faisant par exemple : ‘as dull as pluitchwater’…
– ‘Avoir la langue bien pendue’ se dit ‘to have a glib tongue’. L’association à renforcer sera entre ‘pendue’ et ‘glib’. On pourra faire par exemple : ‘avoir la langue bien ‘glandue’…
– Dans certains cas, un mot traduit une expression. Pour retenir que ‘fiddle’ signifie ‘jouer du violon’, on peut créer l’expression intermédiaire : ‘jouer du *fiddlon’ en jouant sur la similarité du ‘fi-‘ et du ‘vi-‘.
8) Calembours
– On peut rassembler ainsi différents sens de ‘scrap’ et de ‘scrape’ en faisant une phrase qui n’a guère d’intérêt, si ce n’est mnémonique. Il ne s’agit pas de s’en souvenir à long terme, mais seulement de la construire et de la répéter un petit nombre de fois : ‘I put the scraps into a scrap paper and I scrapped them along with the scrap iron, but this created a scrap with my wife and I got into a scrape…’ (‘J’ai mis les restes du repas dans un papier brouillon et je les ai mis au rebut avec la ferraille, mais cela a provoqué une querelle avec ma femme et m’a mis dans le pétrin…’).
– Donnons un second et dernier exemple de phrase du style : ‘Un chasseur sachant chasser sans son chien…’ : ‘I grubbed out the grubby grub who was grubbing about in the grave, but it did not bear me any grumpy grumble afterwards’. (‘J’ai extirpé le sale asticot qui farfouillait dans la tombe, mais après, il n’a pas manifesté à mon égard de rancœur renfrognée…’).
B) RESUME DE QUELQUES TECHNIQUES COURANTES
Nous avons donné dans cet article une idée assez détaillée des manières de passer progressivement d’un mot à l’autre en exploitant les moindres similarités qui deviennent autant de points d’ancrage de la mémoire. Cependant, toutes les techniques n’ont pas besoin d’être utilisées pour associer deux mots donnés. Il peut être intéressant, à la fin de cet article, de résumer des techniques qui s’avèrent être courantes et suffisent souvent à créer ou à renforcer une association entre deux mots.
I) La méthode d’inclusion associée à celle de l’arc-en-ciel
-‘ Pulsation’ se dit ‘throb’, on peut faire la transformation suivante : pulsation
*thrulsation *throlsation *throbsation throb
-‘ Tressaillement’ se dit ‘thrill’ : tressaillement
*thressaillement *thrissaillement *thrillaillement thrill
2) Croisements de mots longs sur une ‘charnière’
a) Lorsqu’il y a une seule lettre commune entre deux mots, ça sert de charnière :
mosaïque tessellation
indifférence listlessness
*mos selation *tes saïque
*lis différence *in thlessness
certificate testimonial
thunderbolt coup de foudre
*certimonial *testi ficate
*thun de foudre *coup derbolt
b) Lorsqu’il y a une structure préfixe-thème ou thème-suffixe analogue, on se sert de cette séparation sémantique comme charnière :
nuisible *nuiful explosion (émotionnelle) *ex burst harmful *harmsible outburst *out plosion
Une fois que le lecteur a assimilé les règles de départ, créer de nouvelles associations entre les mots devient pour lui un jeu, et il peut alors rapidement développer son intuition mnémonique pour trouver le meilleur chemin de transformation d’un mot à l’autre.
C) COMMENT APPRENDRE UN VOCABULAIRE DIFFICILE :L’EXEMPLE TIBETAIN
Le tibétain a un vocabulaire difficile car les mots sont non seulement complètement différents, mais comportent des prononciations inhabituelles et se ressemblent souvent étrangement. Il ne semble y avoir aucune prise pour la mémoire. J’ai résumé ici les méthodes qui m’ont paru les plus utiles pour mémoriser du vocabulaire en tibétain, en prenant comme critère la présence ou l’absence de lettres communes ou similaires, liquides, nasales, mais aussi sourdes ou sonores.
1) Présence de lettres communes ou similaires
10) Présence de plusieurs lettres
100) Présence de plusieurs lettres dans le même ordre
1000) Techniques de condensation
-‘Mental wandering’ se dit ‘l’phro ba’
Les lettres similaires ont été notées (dans l’ordre) par : ‘l’, ‘w/ph’, ‘r’. Pour passer du mot anglais au mot tibétain, on peut suivre le chemin suivant :
Mental wandering *l’wandering
*l’phandering *l’phring *l’phro
l’phro ba , avec la terminaison nominale habituelle ‘ba’. La partie ‘ande’ qui était en trop a été effacée par condensation.
– ‘Obscuration’ se dit ‘sgrib’
obscuration *scuration *sguration *sgration *sgrition
sgrib
1001) Technique de dilatation
– ‘Impur’ se dit ‘ma dag pa’i ‘ ( les lettres ‘m’ et ‘p’ sont similaires) : Impur
*Im ma dag pur ma dag pa’i
101) Présence de plusieurs lettres dans un ordre différent
Il faut procéder à des inversions qui, si elles ne sont pas faites consciemment au moment de l’apprentissage, ne se feront peut-être pas au moment de la récitation et donneront lieu à des erreurs de mémoire.
– ‘Secret’ se dit ‘gsang’ (‘s’ et ‘c/g’ sont similaires) : secret
*cseret *gseret gsang
– ‘Gross’ se dit ‘rgas’ (‘r’ et ‘g’ doivent être inversés) gross
*rgoss *rgass rgas
– ‘Destruction’ se dit ‘zhig’
destruction
* struction * tsruction
- * sruction
- * zruction
- * zhuction
- * zhiction
- * zhigtionzhig
– ‘Yoga’ se dit ‘rnal byor’ (on inverse les syllabes) yoga
*gayo *rna byo
rnal byor
Le point d’ancrage mnémonique est ici ‘o’ et ‘a’
11 ) Mots qui ont une seule lettre commune ou similaire
Il s’agit d’un cas assez fréquent, qui semble offrir peu de prise pour la mémoire. On peut cependant utiliser les méthodes suivantes :
110) Croisement sur la lettre charnière – ‘Sutra’ se dit ‘mdo’
sutra *sudo mdo *mtra
111) Inclusion construite à partir de la lettre similaire
– ‘Transférence’ se dit ‘pho ba’ transférence
*transphérence *transpho bence *transpho bace
pho ba
tranquille *tranzhille
zhi
– ‘Needing’ se dit ‘slob’
needing
*neebing *nobing *lobing
*slobing slob
2) Mots qui n’ont aucune lettre commune ou similaire
Ce sont les mots qui seront spontanément les plus difficiles à mémoriser. On peut cependant utiliser les procédés suivants :
– ‘Tranquille’ se dit ‘zhi’
20) Synonymes dans la langue de départ
‘Enjoyment’ se dit ‘longs’. Il est utile de rapprocher, après un peu de réflexion, ‘enjoyment’ de ‘longing’ (aspiration), dont le sens, bien que non équivalent, n’est pas trop éloigné ‘d’enjoyment’.
Le passage au synonyme permet aussi d’augmenter le nombre de lettres communes. Plutôt qu’associer le tibétain ‘nges’ à ‘renoncement’, ce qui est sa traduction exacte, on peu l’associer à ‘négation’, ce qui permet d’avoir le ‘e’ et le ‘g’ comme lettres communes en plus.
Plutôt qu’associer le tibétain ‘bde ba’ à l’anglais ‘bliss’, on peut l’associer à ‘béatitude’ qui a plus de lettres similaires.
21) Technique de l’arc-en-ciel
Elle est fort utile pour associer des mots courts qui n’ont rien en commun
Truth *chuth
*choth chos
form wheel *gzorm *fors *kheel *gzurm *fogs *khol *gzugm *fugs
gzugs
Elle est moins effective, mais peut être employée pour associer un mot court à un mot long ; ‘sa’ en tibétain peut signifier ‘territoire’. On crée les intermédiaires suivants : *sa-ritoire’, *ter-sa-toire’, *terri-sa’.
3) L’association par famille de sens ou de sons
Cette technique est fort utile quand on apprend beaucoup de mots en même temps, pour ne pas les confondre les uns avec les autres, ou avec ceux qu’on a appris précédemment.
30) Famille de sons
On regroupe les presqu’homonymes en tibétain dans une phrase qui permet de les associer en les différenciant. La phrase n’aura guère de sens, là n’est pas la question. Par exemple : ‘Après la prise (dzin) du pays (zhing) est survenue sa destruction (zhig)’
31) Famille de sens
On rapproche les synonymes entre eux, ou les contraires. Par exemple, on rapproche ‘dga ba’ (joie) de ‘bde ba’ (félicité). Ce principe des familles n’est pas original, on le retrouve dans la plupart des méthodes de langues. On peut cependant se servir des techniques ci-dessus pour associer les synonymes tibétains entre eux ; par exemple en faisant un passage progressif de ‘dga’ à ‘bde’ par l’intermédiaire de *gda (inversion) et *bda. Ce genre d’association ne doit pas être fait entre deux mots qu’on est en train d’apprendre, car il y aurait risque de confusion. Un des deux mots doit déjà être bien connu
Dr Jacques VIGNE