Clair parlant - Clés de Psychologie


Humour Humilité - retranscription de méditation guidé

25 et 26 mai  2024

St Etienne d’Escatte (Souvignargues, Nîmes)

Chez Soraya Melter

Humour_Humilité

Zoom 17h30-19h30

100 Humour humilité même racine qu’humus

Humour 7e paramita,parfaitement sans ego, car se moque de notre propre ego, cet ego qui empêche qu’une qualité soit parfaite, en l’occurrence paramita.

Méditation du « pas sûr » avec le geste de la main droite qui se redresse, posée sur la cuisse droite au milieu

Allongé

Méditation de la tempête de neige, chaque sensation étant un flocon de neige qui se pose exactement là où il doit se poser.  Le « froid » correspond à l’arrêt du mental, qui peut être absolu si on arrive au zéro absolu.

Le pas sûr appliqué au corps dans son ensemble nous fait sourire car il évoque notre humilité, et finalement notre humour.

Marche :

Sur pointe des pieds

Cf Bernard Pivot cité par Thibaut :  On n’doit/ pas mettre /l’accent /sur l’ego

Cf parole zen « Méditer c’est étudier l’ego, étudier l’ego, c’est l’abandonner »…

Humour amour avec la marche du sceau de l’empereur.

Le bercement de la marche devient percement, et nous fait soudain aller vers un ciel de lumière.

Chaque battement de cœur à gauche comme à droite devient un flash, qui mène à une méditation de plus en plus brillante.

101 Discussion

 

 


Développer la joie intérieure - retranscrition de méditation guidé

31 août24

St Etienne d’Escatte (Souvignargues, Nîmes)

Chez Soraya Melter

Développer la joie intérieure.

 

Son de l’origine de l’univers, onde lamda des astrophysiciens.

[15 premières min non enregistrées océan de lumière devant nous, reprise à ce moment-là.

279 Les 8 motivatains mondaines :  rapprochement avec le poème If de Kipling.

Se libérer de petite fille qui mène le taureau au champ, notre vraie nature, lel taureau,, peut et doit se libérer de la petite fille avec ses caprices,  sur l’air de la vielle chanson « Capri, c’est fini », ici c’est « Caprices, c’est fini »/

Busquer le nez pour « débusquer » le Soi au fond du coeur

Allégorie hindoue du daim musqué qui court partout attiré par l’odeur du musc, sans s’apercevoir qu’il a cette odeur en soi.

280

Posture de l’empereur.

Joie, un des 7 facteurs d’éveil pour le Bouddha, dans le contexte de l’octuple sentier.

Dépasser l’avidité pour stabiliser la vraie joie, qui est joie sans objets, la joie de l’essence libre des sens. C’est à peu près l’exact contraire de la société de consommation.

Cf Atisha : « Suprême est le comportement qui va à l’opposé des comportements du monde »

Rabattre la mointe du nez

Redresser la langue

Raccourcir et détendrele talon d’Achille…

Randal et Serafini dans Biological Psychiatry

Mesolimbic dopamine and depression…libère à la fois

Anandamayi, la pénétrée de joie Marol a traduit « Saturée de joie »

 

Détail sur la rétraction légère de la plante du pied et des doigts de pied.

4+1 : Dans la joie toutes/om/les -souffrances sont-détruites/om

2x2Dans la joie/toutes les/souffrances/sont détruites

(Commencer vipassana : de la souffrance à la joie, avec le visage.)

Continuer allongé.

(Marche :

Marche portante et joie

des problèmes/qui reviennent/décider/d’être heureux/)

 

2e session

281

Discussion

282 Marche dehors 14h35 50

283 assis Convergence de la joie et de l’attention

Fondamental dans l’enseignement du Bouddha : en fait ressemble fort à ce qu’on appelle l’amour.

Le faîte du toit de Nagasena. J’aime bien donner les méditations qui tiennent la route, et que vous pourrez méditer ou reprendre toute votre vie.

« Le faîte du toit, c’est le Toi en fête » cad que la convergence de l’attention et de la joie  nous mets en contact avec le « Toi » au-delà du moi, en d’autres termes l’espace au-delà de l’ego…et cela augmente notre joie, car elle devient sans objet ;

« Les eaux de Siloë s’écoulent en silence » Ce sont de seaux qui ‘écoutent bien, comme le son d silence. (cité par St Jean de la Crooix)

284 allongé

(Différence entre latitia/Laxmi, joie d el’abondance, ce qui a sa place dans l’équilibre humain ;  et ananda,/gaudium : joie spirituelle, sans objet :

Deux niveaux

 

 

Trois : Juste avant son décès, le bouddha entraîne jhâna en ordre direct est inversé, elle moment du passage lui-même a eu lieu directement à partir du quatrième jhâna (M 1, 70)

à travers les soutras, on voit que le bouddha encourage constammennt ses disciples à développer jhâna.

Par rapport à la voie d’une vision intérieure sèche, la voie du pratiquant du jhāna semble par comparaison plus douce et plus agréable. Le bouddha réfère même aux quatre Jama de façon figurée comme une sorte de nirvana : il les appelle un Nibbāna immédiatement visible, un Nibbāna « factuel », un Nibbāna ici et maintenant (A Anguttara Nikāya 4,453-54) jhāna

pour obtenir la fin de la souffrance, le nibbāna.

3 Il est clair que les jhânas sont des états d’unification mentale profonde qui sont le résultat du centrage de l’esprit sur un objet unique avec un pouvoir d’attention tel qu’une immersion totale dans l’objet a lieu.)

C’était le souvenir de cette incident d’enfance, une absorption pendant un festival des labours, correspondant au premier jhâna qui, beaucoup d’années plus tard après sa poursuite futile des austérités, lui a révélé le chemin de l’illumination pendant cette période de découragement des plus profonds M Majjhjima Nikāya 1 246-247)

sa libération sous l’arbre de la Bodhi est issue directement du quatrième jhâna

trois durant toute sa carrière active les quatre jhâna sont restés « sa demeure céleste » (3,220) à laquelle il retournait afin de vivre heureux ici et maintenant.

Trois : geste avant son décès, le bouddha entraîne jhâna en or direct est inversé, elle moment du passage lui-même a eu lieu directement à partir du quatrième jhâna (M 1, 70)

à travers les soutras, on voit que le bouddha encourage constamment ses disciples à développer jhâna.

Par rapport à la voie d’une vision intérieure sèche, la voie du pratiquant du jhāna semble par comparaison plus douce et plus agréable. Le bouddha réfère même aux quatre Jama de façon figurée comme une sorte de nirvana : il les appelle un Nibbāna immédiatement visible, un Nibbāna « factoriel », un Nibbāna ici et maintenant (A Anguttara Nikāya 4,453-54) jhāna

page cinq : [les quatre jhāna immatériels sont l’espace pur, la conscience pure, la vacuité et l’état de à la fois de ni-perception ni- non perception. Ils sont atteints plus facilement si on est très attentif à l’ouverture de la narine fermée. Par exemple, la narine fermée qui s’ouvre donne une expérience embryonnaire en quelque sorte du vaste espace, car il se crée un petit espace entre les muqueuses. Quand la narine est fermée, on perçoit une tension, quand elle est ouverte, on ne la perçoit plus, en passant de l’un à l’autre, on s’habitue à passer de la perception à la non-perception et est à finalement dépasser cette opposition.]

jhana étymologiquement relié à jhāyati, il médite, mais Budhaghosa le relie aussi par jeu à jhapati, il brûle, c’est-à-dire que les jhāna brûle les obstacles qui développent qui empêchent le développement de la sérénité et des prises de conscience. Les jhānangāni sont vitakka, civchāra, pīti, sukha et ekagattā.[en pratique, il y a trois types de pensée  soutenues et deux types de joie, donc on peut dire en bref que les deux qualités essentielles pour une bonne absorption sont l’attention soutenue et la joie]

  • Le second ensemble de comparaisons est relié à des facteurs qui rendent difficile de voir clairement sa propre image dans de l’eau : le désir sensuel et comme lorsque l’eau est mélangée de couleurs vives, l’aversion comme un bol d’eau bouillante, la torpeur comme de l’eau qui est couverte par des plantes aquatiques, l’agitation mentale comme de l’eau où le vent provoque des vagues, et le doute comme de l’eau boueuse
  • [quand il y a des plantes aquatiques sur l’eau, le bateau ne peut plus passer. On dit parfois : « bouillonner de colère » ce qui sont dans le doute, sont dans le troubles, et ils provoquent aussi chez les autres des troubles]

les cinq obstacles et les cinq facteurs des jhānas sont en miroir  : la concentration focalisée est opposée au désir sensuel, la félicité à l’aversion, la pensée appliquée à la torpeur, le bonheur à l’agitation mentale et au souci, et la pensée soutenue au doute [par rapport au fleuve de la pensée soutenue, les doutes sont comme des buissons épineux sur les rives qu’on laisse loin derrière]

30 : Le premier  jhāna possède cinq facteurs qui le composent : la pensée appliquée, la pensée soutenue, le ravissement, le bonheur et la focalisation de l’esprit.

Dans la concentration d’apprentissage, uggaha-nimitta, survient quand on voit aussi clairement l’objet visualiser que celui qui est  vu les yeux ouvert… avec une pratique continue , on finit par voir s’élever une réplique lumineuse et purifiée de l’objet-même, ce qu’on appelle le signe de la contrepartie (paṭibhāga-nimitta), dont l’apparition marque la suppression complète des cinq obstacles et l’arrivée au stade de l’absorption d’accès (apacāra-samādhi)

les cinq obstacles sont abandonnés spontanément à cause de l’expérience intérieure de plénitude qu’a le pratiquant en arrivant au premier jhāna. et

32 Une image pour la pensée appliquée (vitakka) : « de même que quelqu’un monte au palais du roi et dépend en cela du parent d’un ami proche du roi, de même on accède à objet de méditation avec l’aide de la pensée appliquée. Si elle est centrée sur les objets positifs, elle devient une grande aide.

Dans le jhāna, cette pensée est invariablement saine. Quand elle est appliquée à l’objet la pensée avec une grande force, Buddhaghosa dit qu’elle frappe et secoue l’objet. PP .148

le Vishuddhimagga explique la différence entre les deux signes de cette façon :

dans le signe d’apprentissage, n’importe quel défaut de l’objet est apparent. Mais le signe de contrepartie apparaît comme s’il forçait son passage à partir du signe d’apprentissage, il est cent, mille fois plus purifié, comme un miroir qu’on sort de sa boîte, comme un plat de nacre bien lavé, comme le disque de lune sortant de derrière les nuages, comme des grues sur fond de nuage d’orage. Mais il n’a ni couleur, ni forme, car s’il en avait, il serait identifiable par l’œil matériel, susceptible de compréhension (par la conscience intériorisée) est marqué par les trois caractéristiques. Mais ce n’est pas le cas car il est né seulement de la perception chez celui qui a obtenu la concentration, il s’agit seulement d’un mode d’apparence (PP 130) [c’est typiquement l’imaginal en tant que supérieur de l’imaginaire]

Vichāra semble être un aspect plus développé que vitakka. Les commentaires expliquent qu’il a la caractéristique de « pression continue » sur l’objet (PP 148) l’esprit de l’objet ne reçoit pas simplement un coup, comme c’était le cas dans la pensée appliquée, vicāra s’ancre dans l’objet grâce à une pression mentale continue et subtile. Buddhaghosa illustre la différence entre les deux avec une série de comparaisons : la pensée appliquée consiste à frapper une cloche, la pensée soutenue comme la faire sonner pendant plus longtemps, la pensée appliquée comme une abeille qui vole vers une fleur, la pensée soutenue comme le fait de tourner autour d’elle en bourdonnant ; la pensée appliquée comme l’aiguille d’un compas qui est fixée au centre d’un cercle, la pensée soutenue est comme l’aiguille qui tourne autour (PP 148 1349)

 

 


Les mots ouverts

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LES MOTS OUVERTS

Quelques techniques pour enrichir rapidement son vocabulaire dans une langue étrangère.

par Jacques VIGNE psychiatre, spécialiste de l’Inde

Depuis l’écriture de la première version de cet article en 1991, Jacques Vigne pratique personnellement cette méthode des mots ouverts puis recomposés qu’il a trouvée et qui correspond à des techniques anciennes de mémorisation des védas chez les brahmanes de l’Inde. Avec certains développements, ce texte est devenu un petit livre en italien publié à Milan par MC Editrice en 2017 Il Giocco delle parole aperte. On lira aussi avec profit le texte qui accompagne celui-ci. Mots hybrides et neurones-miroirs qui a aussi été publié dans le livre en italien.

L’idée d’écrire cet article est venue à la fois de mon intérêt professionnel pour le fonctionnement de l’esprit, en tant que médecin-psychiatre, et de mon intérêt personnel pour les langues. Après mes études secondaires, bien qu’étudiant en médecine, j’ai continué une certaine pratique du latin et du grec. Lorsque j’ai fait des séjours en Allemagne, je parlais suffisamment la langue pour échanger à peu près normalement avec les habitants. Résidant depuis cinq ans en Inde, j’ai pris l’habitude de fonctionner de plus en plus sur quatre langues : il me semble que je rêve plutôt en français, j’utilise quotidiennement l’anglais, je lis chaque jour le journal en hindi, et je commence à me lancer dans des conversations philosophiques dans cette dernière langue. J’ai maintenant de bonnes bases en sanskrit également pour l’étude des textes classiques de l’Inde.

I ) LA MEMOIRE ET LES LANGUES

J’ai toujours été intéressé par les phénomènes de mémoire, d’une part parce que la mémoire est une des bases essentielles du développement de l’être humain : non seulement de son esprit au sens mécanique du terme, mais aussi de sa sagesse et de sa sensibilité : de Platon à Proust en passant par Saint Augustin, Raymond Lulle ou Nerval, réminiscence et intériorité ont été étroitement associées. D’autre part, comprendre les phénomènes de mémoire a un aspect utilitaire : du début à la fin des études, on demande beaucoup aux étudiants de mémoriser : chaque branche de la connaissance a son type de mémoire particulier, nous nous intéresserons ici surtout à la mémoire nécessaire à l’apprentissage du vocabulaire dans une langue étrangère.

Ceux qui ont l’habitude d’apprendre des langues développent chacun leurs méthodes, leurs recettes pour mémoriser rapidement. Les pédagogues ont eux aussi élaboré des procédés bien connus qui aident à soutenir l’intérêt et l’attention des élèves pendant les classes de langues, facteurs essentiels de mémorisation. Les moyens pratiques que je présente ici ne viennent pas en remplacement de toutes ces méthodes, mais en complément, ou en confirmation de certains de leurs aspects. Une des bases de l’enseignement des langues, c’est de stimuler leur usage actif et de maintenir dans le groupe d’étudiants une participation et un investissement émotionnel. Il y a eu à ce propos une expérience de psychologie intéressante : on dit à des gens en état de relaxation une liste de mots d’une langue étrangère sur un ton neutre, en leur demandant d’en mémoriser le plus possible. On note les résultats de ce groupe témoin. Dans un second groupe, on dit la même liste de mots, mais le ton n’est plus neutre : il exprime toutes sortes d’émotions allant de la joie à la peine. Le second groupe mémorise mieux que le premier. Des méthodes comme la suggestopédie du Dr Lozanov (1) combinent la relaxation, l’apport d’un grand nombre de mots nouveaux en même temps et les jeux de rôle. Ceux-ci favorisent évidemment l’investissement émotionnel et la participation active des élèves. Un moyen simple d’étendre à plusieurs registres de la mémoire l’impact d’un mot nouveau afin de mieux le mémoriser, c’est de l’écrire plusieurs fois en disant son sens à voix haute. On associe ainsi les stimulis auditifs aux stimulis visuels et gestuels.

J’ai essayé de nombreuses méthodes, de nombreux procédés pour favoriser un apprentissage rapide du vocabulaire. Après avoir trouvé la méthode ci-dessous, je me suis aperçu qu’elle correspondait d’assez près à aux techniques d’apprentissage des védas développées par une tradition orale millénaire, ce qui en soi représente un travail considérable. Il s’agit d’intervertir les syllabes des versets à mémoriser selon diverses combinaisons : à la place de les réciter dans l’ordre 1 2 3 4 5, on peut faire 13 24 35 ou 5 3 4 2 3 1 etc. Cela favorise l’exercice d’une attention complète et multiplie les zones de recouvrements des syllabes entre elles, donc les associations et donc les chances de mémorisation exacte. D’autres méthodes avaient un intérêt plutôt théorique. Je me suis intéressé à l’histoire des techniques de mémoire, en particulier par la lecture d’une étude très documentée intitulée : ‘L’Art de la Mémoire’ (2). C’était intéressant du point de vue psychologique et historique, mais ne donnait guère de moyens pratiques pour la mémorisation du vocabulaire. De même, les livres de psychologie sur la mémoire font référence à un certain nombre d’expériences qui ont amené un progrès dans la recherche scientifique, mais ne donnent guère d’éléments utilisables en pratique. La mnémotechnie développe souvent le mécanisme de base de la mémoire, qui est l’association : c’est là son utilité. Cependant, les moyens mnémotechniques en eux-mêmes sont souvent plus difficiles à mémoriser que ce que l’on voulait retenir au départ, et c’est là leur limite.

Je me suis beaucoup intéressé à la relaxation thérapeutique (3) et aux possibilités de visualisation dans un état de détente. Autant la visualisation a un intérêt considérable dans le domaine de la psychothérapie, autant il me semble restreint dans le domaine des langues. Même quand on sait bien visualiser un objet mentalement, ce qui n’est pas forcément facile, le fait de se le représenter en répétant le mot qui le désigne dans une langue étrangère ne réussit pas si bien, c’est au moins mon expérience. Visualiser un livre en répétant ‘book’ aide un peu, mais ce n’est pas si efficace ; cela est peut-être dû au fait que les mécanismes de visualisation et de langage sont très séparés au niveau du cerveau, le premier relevant du cerveau droit, le second du cerveau gauche. Les images sont une aide pédagogique utile, surtout au début, mais je vois mal comment développer par exemple l’anglais littéraire à l’aide d’images à chaque fois. Le plus rapide dans mon expérience est de trouver des moyens d’associer non pas le mot à l’image, mais le mot au mot directement, afin de rester dans le même type de mécanismes mentaux. Il est possible d’ailleurs que ce qu’on croit être une association ‘ image-mot étranger’ soit en fait surtout une association ‘mot français-mot étranger’ ; il est naturel pour un français voyant l’image d’un livre de penser immédiatement ‘livre’. S’il décide de dire ‘book’ en même temps, les deux s’associent spontanément.

Nous ne sommes pas des enfants nouveaux-nés : il est certes séduisant d’espérer pouvoir apprendre une langue avec la fraîcheur intellectuelle et émotionnelle d’un enfant d’un an, mais c’est peu réaliste ; tout au plus, on peut se détendre, apprendre comme par jeu, ne pas avoir peur de se tromper ou d’être ridicule, mais on reste obligé de tenir compte du conditionnement de départ de sa langue maternelle, fortement ancrée déjà à la fin de la première enfance. L’idéal est bien sûr de penser dans la nouvelle langue, mais comment faire pour atteindre ce niveau rapidement, surtout si on ne vit pas dans le pays ? Une méthode qui réussit bien quand elle est possible, c’est de chercher à comprendre l’étymologie du mot à apprendre, de voir d’où il vient, comment il est composé et, au moins pour les langues indo- européennes, de voir si sa racine peut être rapprochée d’un mot français. Cependant, quand il n’y a pas ou qu’on ne voit pas d’étymologie commune, comment faire ?

Nous en venons au problème central de cet article : il y a un mot français, sa traduction en une langue étrangère à côté, comment faire pour associer étroitement les deux, pour que la mention d’un des deux mots rappelle l’autre immédiatement non seulement dans notre vocabulaire passif, mais aussi dans notre vocabulaire actif ? Comment parvenir à ce but quand on se retrouve seul en face d’un texte ou d’une liste de vocabulaire à mémoriser, qu’on n’a pas de professeur pour vous faire parler ou qu’on n’habite pas dans le pays étranger ? Certes, la pratique fera que ‘ça rentrera tout seul’, mais comment faire pour que ‘ça rentre tout seul’ plus vite ?… Y a-t-il des moyens plus élaborés et plus efficaces que le simple fait de répéter ‘livre-book’, ‘livre-book’ le plus de fois possible ? Les techniques que je présente ci- dessous sont simples ; cependant, elles ne se sont clarifiées dans mon esprit qu’après un long temps de pratique de l’apprentissage des langues ; c’est bien pour cela qu’il m’a semblé utile d’écrire à leur sujet, et de préciser ces moyens ‘simples’ qui ne sont pas si évidents, ou qui sont tellement évidents qu’on ne les prend pas clairement en conscience, et qu’on ne peut les exploiter systématiquement. J’ai été aidé dans leur mise au point par la pratique de la relaxation profonde et du sommeil conscient : j’ai pu mieux comprendre comment les mots s’associaient, se mélangeaient entre eux de manière irrationnelle, au moins en apparence. Ce sont les mêmes mécanismes d’associations qui, quand ils restent inconscients, créent la confusion entre les mots et qui, s’ils deviennent conscients, sont le plus puissant moyen de mémorisation.

II) QUELQUES TECHNIQUES DE ‘ MOTS OUVERTS ‘

1) Technique de croisement

a) Technique de départ

Il s’agit de créer momentanément des mots nouveaux intermédiaires entre la langue de départ et la langue d’arrivée, nous utiliserons pour les exemples le français et l’anglais. Supposons que nous voulions apprendre le mot ‘pilferer’ qui signifie ‘chapardeur’. On coupe les mots en deux et l’on crée deux mots mixtes avec chacun une moitié française et une moitié anglaise. On répète ces mots rapidement un petit nombre de fois :

pilferer *pil-pardeur chapardeur *cha-ferer

Les mots intermédiaires ont une existence éphémère : ils sont oubliés rapidement mais l’association entre ‘pilferer’ et ‘chapardeur’ reste solidement ancrée dans la mémoire. L’association marche d’autant mieux qu’on peut trouver des lettres communes ou qui se ressemblent, si possible des consonnes et si possible au même endroit dans le mot. Dans cet exemple, le ‘fer’ de ‘pilferer’ et le ‘par’ de ‘chapardeur’ se ressemblent : il s’agit des secondes syllabes, débutant par les lettres voisines ‘f’ et ‘p’ (cf ph —-f ) et le ‘r’ étant commun. On peut dont prévoir que le mot sera mémorisé assez facilement. Il est compréhensible que les consonnes soient des points d’ancrage de la mémoire plus sûrs que les voyelles, car les consonnes forment le squelette du mot, elles structurent les racines : il suffit de se souvenir de l’Hébreu biblique où l’on n’écrivait pas les voyelles.

b) Chercher les synonymes

Il ne faut pas hésiter à choisir, parmi les différentes traductions possibles d’un mot anglais, le mot français qui lui ressemble le plus dans sa forme, avec lequel il a le plus de lettres communes : par exemple ‘splutter’ signifie ‘cracher’ ‘crachoter’, mais il signifie aussi ‘bredouiller’. Dans ce dernier sens, on retiendra l’association plus facile car on pourra faire le croisement suivant :

splutter *splut-ouiller bredouiller *bred-ter

On remarquera que le ‘b’ de bredouiller est une labiale comme le ‘p’ de ‘splutter’, le ‘r’ et le ‘l’ sont deux liquides, et sont tous deux vers le début de la première syllabe. Le mot a donc des chances d’être retenu assez aisément. Dans l’exemple de la technique de départ, on peut remplacer ‘chapardeur’ par ‘pillard’ qui s’associe plus naturellement à ‘pilferer’, même si l’on ne sait pas s’il s’agit d’un rapprochement fortuit ou d’une réelle étymologie commune. Ici, notre premier propos est de mémoriser.

c) Cas des mots avec préfixes

La séparation naturelle entre préfixe et racine indique comment faire le croisement :

submergé (par l’émotion) *sub-whelmed overwhelmed *over-mergé

La mémorisation sera facilitée par la présence d’un ‘m’ commun dans les secondes syllabes. Il ne faut pas hésiter à faire ce croisement dans le cas fréquent des mots anglais dont on comprend assez facilement le sens, mais qu’on ne pense pas à employer dans son vocabulaire actif, c’est-à-dire dans le sens thème : par exemple, on comprend assez facilement que l’anglais ‘proprieties’ signifie ‘convenances’ dans le sens de ‘bonnes manières’, ‘ce qui est approprié’. Ce n’est pas pour autant qu’on pensera immédiatement à ‘proprieties’ quand le français ‘convenances’ viendra à l’esprit ; on fait donc un croisement : *con-prieties et *pro-venances. Quand on apprend l’anglais, ces cas se rencontrent fréquemment, de même que dans les cas suivants :

d) Cas des mots à étymologie évidente

Il est facile à comprendre que ‘pinecone’ signifie ‘pomme de pin’, cette dernière étant conique. Cela ne signifie pas qu’on pensera immédiatement à ‘pinecone’ en voulant traduire ‘pomme de pin’ : là encore, le croisement suivant, très simple, sera utile :

pine cone *pine pomme pomme de pin *cone de pin

e) Croisements directs

Dans les cas fréquents où il n’y a pratiquement aucune lettre commune, ni même similaire, on peut malgré tout faire un croisement :

puny *putif chétif *ché-ny

Mais il faudra le répéter plus longtemps, car il sera plus difficile à mémoriser. Dans cet exemple, une recherche de synonyme aidera : on pourra associer plus directement ‘puny’ à ‘petit’ ; à partir de là on se souviendra en fait sans trop de difficultés que ‘puny’ a une nuance de ‘malingre’, ‘chétif’.

2) Technique de ‘ l’arc-en-ciel’

Il s’agit de croiser les mots, de les mélanger, mais cette fois-ci non plus syllabe par syllabe, mais lettre par lettre, en faisant un dégradé continu comme les couleurs de l’arc-en- ciel. C’est particulièrement utile si l’on veut associer deux mots étroitement, par exemple un mot anglais et sa traduction dont on ne réussit jamais à se souvenir :

glimmer glimmer *limmer

*lummer luire *luer

luire
On ne doit pas confondre ‘glimmer’ avec ‘glitter’, ‘scintillement’ :

glitter glitter *scitter

scintillement *scinter scintillement

Si ce procédé est utile pour retenir les mots courts de l’anglais, il n’est guère utilisé pour retenir les mots longs : en effet, le problème ne se pose guère. Soit les mots longs viennent directement du français, soit ils sont facilement réductibles à une combinaison de deux mots courts. (Par exemple ‘circumstantial’ et ‘workshop’).

3) Technique de l’inclusion

Le plus souvent, le mot et sa traduction n’ont pas le même nombre de syllabes ; on peut alors tenter d’inclure le plus court dans le plus long. Par exemple, ‘hubbub’ signifie ‘vacarme’, ‘remue-ménage’ : ceci ne nous aide guère, car il n’y a pas de consonnes communes entre le français et l’anglais : par contre, ‘hubbub’ peut signifier ‘tohu-bohu’ : c’est ce mot qu’il faut utiliser pour faire l’inclusion, en créant un mot intermédiaire qui sera un ‘mot farci’ pourrions-nous dire pour les amateurs de cuisine :

tohu-bohu

hubbub

*to-hubbub-hu

Il est évidemment plus facile de choisir pour l’inclusion la partie du mot long qui

ressemble le plus au mot court. ‘Squash’ signifie ‘aplatir’ ou ‘presser’, ce qui ne nous aide guère ; mais il signifie aussi ‘écraser’ : on peut à ce moment là l’inclure en créant le mot intermédiaire ‘é-squash-er’. ‘Keen’ ‘aiguisé’, donnera lieu au mot intermédiaire ‘ai-keen- ser’. On peut associer évidemment la technique de l’inclusion à celle de l’arc-en-ciel :

célibataire (femme) spinster

célibataire *célispataire *célispastaire *célispinster

spinster

4) Technique de la lettre-charnière

Une difficulté dans l’apprentissage d’une langue étrangère, c’est que souvent, il n’y a pas plus qu’une ou deux lettres communes, et encore, elles ne se trouvent pas à la même position dans le mot : on se tire d’affaire néanmoins en accrochant les deux mots à la suite l’un de l’autre en s’aidant d’une ‘lettre-charnière’ commune :

matraque

truncheon

*matruncheon

Si on a peur de ne pas retenir cette association qui est plus fragile que les précédentes,

on peut rajouter un ou plusieurs mots intermédiaires selon la technique de l’arc-en-ciel :

matraque matraque *matraqueon *matracheon

truncheon *matruncheon truncheon

Même s’il n’y a pas de lettre commune pour servir de charnière à l’accrochage des deux mots, des lettres du même groupe comme les deux liquides ‘r’ et ‘l’ pourront suffire :

poireau poireau *poileau

*poileauk leek *poileek leek

 

5) Technique des ‘mots qui tournent’

C’est en fait un cas particulier de la technique précédente, quand il y a des lettres- charnières à la fois au début et à la fin des deux mots à associer:

loop

boucle

loop-boucle-loop-boucle-loop-boucle…

C’est une éventualité assez rare, mais qui mérite d’être recherchée car elle permet

d’associer immédiatement deux mots de manière très étroite ; en effet, la mémoire aime les structures circulaires : il suffit de se rappeler des comptines enfantines dont la fin se raccroche au début ; on a du mal à les oublier.

 

6) Technique des jeux de mots et des phrases sans queue ni tête

Nous nous éloignons ici un peu des mélanges de mots, mais comme il s’agit d’un procédé fort utile et bien connu, je pense, de ceux qui apprennent les langues, je le mentionne

ici : il s’agit de rassembler dans la même phrase des mots qui se ressemblent et qu’on ne doit pas confondre, par exemple :

‘He made a pun saying that the nun’s fun was to run after buns’.

Evidemment la traduction française perd tout le charme du calembour, et ne garde pour elle que la pauvreté du sens :’Il a fait un calembour en disant que l’amusement des religieuses, était de courir après les petits pains au lait …’ Cette technique est particulièrement utile quand on cherche un mot nouveau dans un dictionnaire anglais-français et qu’on ne veut pas le confondre avec les mots qui le précèdent et qui le suivent et que l’on connaît plus ou moins. Il est bon pour éviter la confusion, de combiner cette méthode des jeux de mots avec les techniques de mélange, permettant d’associer directement les mots-clés du calembour à leur équivalent français (par exemple : pain, bain, bun). Cette méthode est efficace car active, on doit chercher à construire une phrase nouvelle ; en général plus cette phrase est comique ou absurde, mieux on la retient…ainsi va la mémoire ! Sans même utiliser de jeux de mots, on peut simplement intégrer le mot ou l’expression à retenir dans une phrase anglaise, puis construire ensuite une seconde phrase anglaise ne contenant cette fois-ci que des mots connus, et ayant le même sens que la première phrase.

La mémoire fonctionnant principalement par association, plus on relie un mot à d’autres mots, plus on a de chances de le retenir. Je pense que la plupart de ceux qui ont l’habitude d’apprendre des langues utilisent ce principe, chacun à sa manière. Pour clarifier, on peut dire qu’il y a deux groupes d’associations possibles, les associations de sens et les associations de sons.

a) Les associations de sens consistent à rechercher dans le vocabulaire qu’on connaît déjà bien le maximum de synonymes, ou presque synonymes, du mot qu’on veut apprendre. Prenons, par exemple, ‘to thwart’, ‘contrarier, ‘gêner’. On l’associera à ‘to prevent’, ‘to annoy’, ‘to oppose’, ‘to bother’, ‘to irritate’, ‘to cross’, ‘to frustrate’…etc… Ce serait un peu artificiel de vouloir rassembler les synonymes à l’intérieur d’une même phrase, puisqu’ils devraient naturellement se retrouver au même endroit dans cette phrase. Par contre, on peut utiliser les techniques de mélanges de mots décrites ci-dessus pour associer ‘to thwart’ aux synonymes déjà connus, en particulier à celui qui viendra en premier lieu à l’esprit pour traduire ‘contrarier’. Ceci dépend de chacun.

b) Les associations de sons consistent à rechercher le maximum d’homonymes, ou presque homonymes, au mot qu’on veut apprendre : reprenons l’exemple de ‘to thwart’, ‘contrarier’ : on peut le rapprocher entre autres de ‘wart’, ‘verrue’ et de ‘thirty’, ‘trente’, et l’on fera une phrase du genre : ‘ Should you get thirty warts on your face, it would thwart you from going on ride’, ‘Si vous aviez trente verrues sur le visage, ce serait contrariant’… De manière générale, il est clair que le fait de construire des phrases en intégrant des mots nouveaux est la première méthode à laquelle on pense pour les intégrer dans le vocabulaire actif.

 

7) La technique du ‘ père et de la mère’

Cette technique est surtout utile quand on commence à apprendre une langue très différente du français et qu’on se trouve en face de mots assez longs non-analysables en préfixe-racine-suffixe, et qu’il faut donc retenir par un effort de mémoire pure. Ce cas est assez rare en anglais, nous l’avons vu.

Prenons cependant par exemple ‘to jeopardize’ qui signifie ‘faire péricliter’. On cherche à diviser le mot en deux moitiés et à rapprocher chacune d’entre elles d’un mot anglais déjà connu. Les deux mots ainsi trouvés deviennent ‘père et mère’ du mot nouveau. Par exemple ‘jeo’ fait penser à ‘jewel’ (prononcé ‘jou-el’) et ‘pardize’ fait penser à ‘paradise’. On rassemble ensuite la ‘petite famille’, père, mère et fils dans une phrase unique qui a évidemment de fortes chances d’être absurde ou un peu ésotérique : ‘He who seeks the jewel of Paradise will never be jeopardized’ : ‘Celui qui cherche le joyau du Paradis ne périclitera jamais’. Signalons en passant que lorsqu’on cherche des ‘pères et mères’, il semble plus efficace de prendre des noms communs que des noms propres. Supposons qu’il y ait eu un groupe de Rock n’ roll s’appelant ‘Jeopard’ et une poétesse irlandaise de la fin du XIX° siècle nommée ‘Ize’ ; les associer ne serait pas si efficace pour retenir ‘jeopardize’. Cela a peut-être quelque chose à voir avec le fait que, dans la dégradation pathologique de la mémoire en début de démence sénile, ce sont les noms propres qui sont oubliés en premier.

 

8) Comment mémoriser le genre des mots

C’est une question qui ne se pose guère pour l’anglais, mais qui représente un gros travail de mémoire pour d’autres langues. Juste à titre d’exemple, prenons le cas de l’hindi, où il y a des genres masculins et féminins comme en français. ‘Manzil’ signifie ‘étage’, mais est au féminin contrairement au français. Pour mémoriser cette différence de genre, ce qui réussit le mieux dans mon expérience est de mémoriser un synonyme, même éloigné, ‘d’étage’ qui soit du féminin. ‘Niveau’, ‘plan’ sont du masculin et ne feront donc pas l’affaire. Par contre ‘surface’ pourra être associé à ‘manzil’ selon les techniques de mélanges de mots ci-dessus. Ainsi, quand on pensera ‘étage’, il y aura à la fois ‘manzil’ et ‘surface’ qui reviendront en mémoire, et l’on saura que c’est parce que ‘manzil’ est du féminin, contrairement à ‘étage’. On peut s’aider également en trouvant, même à l’intérieur du mot, une lettre qui soit un indicatif sûr du genre ; par exemple, en hindi, le ‘i’ est un indicatif assez sûr du féminin. Dans ‘manzil’, le ‘i’ n’est pas tout à fait à la fin du mot, mais il est présent, et cela suffit à faire le lien mnémonique.

 

9) Elargissement du vocabulaire actif

Toutes les techniques ci-dessus peuvent être utilisées pour l’élargissement du vocabulaire actif. Quand on commence à parler une langue étrangère, on se constitue un vocabulaire simple qu’on connaît bien, mais on a du mal à l’enrichir. A cause de la rapidité nécessaire quand on parle, on choisit constamment les mots qu’on connaît le mieux. Tout se passe comme si le vocabulaire déjà actif agissait comme une ornière, et qu’on ne puisse en sortir pour utiliser des synonymes plus précis que pourtant on connaît dans le sens de la version. Il s’agit d’un problème courant. On sait par exemple traduire ‘prendre’ par ‘take’ ; on voit un jour l’expression ‘I had to draw on my savings’ : ‘J’ai dû prendre sur mes économies’. Comment penser à utiliser ‘to draw’ et non ‘to take’ dans ce contexte ? Il faut bien sûr associer ‘prendre’ à ‘draw’ par la méthode de l’arc-en-ciel, mais il n’est pas inutile de prendre le temps d’associer directement ‘take’ à ‘draw’, par exemple selon la même technique :

take Take *drake

draw *drawke draw

Le processus de mémoire ne sera donc plus une ornière, mais une aide: on pensera ‘prendre’, et ‘take’ viendra immédiatement selon le conditionnement ancien, puis ‘draw’ apparaîtra selon le nouveau conditionnement, et sera disponible si le contexte le rend plus souhaitable. Nous avons vu qu’il était utile d’associer un mot anglais nouveau à ses synonymes déjà connus. Par contre, il est inutile dans mon expérience d’essayer de retenir deux mots nouveaux en les associant entre eux, qu’ils se ressemblent au point de vue du son ou du sens. On risque trop, soit de les confondre, soit de les oublier tous les deux… Mieux vaut que le mot nouveau soit associé à un mot bien connu, que ce soit un synonyme anglais ou la traduction française. Cela fait un point d’ancrage solide dans la mémoire.

Ces techniques de mélanges peuvent être utilisées non seulement pour des mots séparés, mais aussi pour des expressions qui sont alors considérées comme un tout. Le premier pas est bien sûr de comprendre la nouvelle expression anglaise, l’image qui est utilisée, etc… Les techniques de mélanges ne sont là que pour accélérer le mécanisme d’association immédiate particulièrement important pour l’intégration au vocabulaire actif. On crée des expressions intermédiaires, ce qui semble souvent encore plus étrange que pour les mots :

prendre froid catch cold

à tout prendre all in all

*catch froid *prendre cold

*à tout all
*all in prendre

L’association est meilleure si l’on peut trouver la moindre lettre-charnière :

solution de facilité *solution de faç-out-té
easy way out *eas-solution de way-cilité, etc…

Cela permet de se rapprocher petit à petit du niveau des interprètes professionnels qui ne traduisent plus les mots mais les expressions; ils ont appris, avec l’habitude, à les associer immédiatement entre elles. Il est bien possible que ces phénomènes de mélanges se fassent dans la période de rêve chaque nuit ; cependant, comme il est inconscient, il peut donner lieu aussi bien à des confusions qu’à une mémorisation exacte.

 

10) Place et fonction des lettres communes dans l’apprentissage du vocabulaire

Ces techniques peuvent prendre, pour celui qui en a l’habitude, une place importante dans l’apprentissage du vocabulaire ; en effet, elles concernent les mécanismes fondamentaux de la mémorisation. Le réflexe de rechercher des lettres communes pour faciliter les associations mnémoniques en dehors même de tout lien étymologique prouvé est clair dans le ‘Vocabulaire Indo-Européen’ de X. Delamarre (4).

Il donne par exemple comme premier sens de la racine ‘swadus’ ‘doux’, bien que ‘swadus’ soit relié étymologiquement à ‘suave’ et non pas à ‘doux’. Ou bien, autre exemple, il donne comme premier sens de la racine ‘nigwtos’ ‘nettoyé’, bien que les deux mots ne puissent être reliés étymologiquement. Le rapprochement n’est qu’une aide à la mémoire, mais cette aide à la mémoire n’est pas un luxe quand on se lance dans la rédaction d’un lexique de l’Indo-Européen…

J’espère que les quelques techniques décrites ci-dessus aideront le lecteur. Sans doute se sera-t-il aperçu qu’il avait déjà ses méthodes à lui, et qu’elles ont peut-être quelques points communs avec les procédés que j’ai décrits. Les différentes approches peuvent être combinées pour obtenir une plus grande efficacité. Comme toutes les méthodes quand elles sont présentées de manière systématique point par point, les ‘mélanges de mots’ peuvent paraître compliqués ou bizarres au lecteur qui n’y a pas plus ou moins déjà pensé par lui- même. Cependant, je maintiens que le grand intérêt de ces techniques, c’est qu’elles sont simples et souples. Après quelques semaines de pratique, on peut apprendre les mots en quelques secondes ou quelques dizaines de secondes au fur et à mesure de leur apparition dans un texte ; cela dépend bien sûr de leur degré de similarité. Depuis que j’emploie assez systématiquement ces procédés de mélanges de mots, il est rare que j’aie à apprendre deux fois le même mot, ce qui m’arrivait assez souvent auparavant. Les mélanges de mots sont des recettes pour accélérer l’apprentissage du vocabulaire : ils ne remplacent ni la motivation pour apprendre une langue, ni les exercices de grammaire, ni le temps consacré à la pratique : en un mot, ils ne dispensent pas de travailler…J’ai un ami qui parle neuf langues : à son avis, le meilleur moyen d’apprendre est de commencer à faire un stage intensif pour acquérir les structures grammaticales et le vocabulaire de base. Après seulement, on peut apprendre progressivement en parlant, écoutant ou lisant un petit peu chaque jour.

 

III) LES ‘MELANGES DE MOTS’ EN PSYCHOLOGIE, EN HISTOIRE ET EN POESIE

Il n’est pas inutile de faire part de quelques réflexions de psychologie après avoir traité la partie technique de cet article. Je me suis demandé pourquoi je n’avais pas pensé plus tôt à ces procédés au fond simples et efficaces de mélanges de mots, et pourquoi on en parle aussi peu dans les ouvrages sur la mémoire et sur l’enseignement des langues : il me semble qu’il y a une résistance psychologique, une peur de faire des mots qui n’existent pas. Les nourrissons, avant la phase de langage proprement dite, s’amusent à faire des mots qui n’existent pas. Après, toute l’éducation du langage consiste à leur faire utiliser des ‘mots qui existent’. S’ils ne sont pas directement réprimandés en utilisant leurs propres mots, ils se sentiront au minimum isolés ou rejetés par le fait qu’on ne les comprenne pas. De plus, la création de mots nouveaux évoque dans l’inconscient des états psychologiques extrêmes. Ne dit-on pas ‘bafouiller de colère’ ? Le bégaiement n’est-il pas augmenté s’il y a une agitation émotionnelle ? Les schizophrènes graves, bien qu’ayant un cerveau neurologiquement sain, ont un langage incompréhensible qu’on appelle ‘jargonophasie’ ou ‘schizophasie’. Ils ont des états émotionnels tellement violents que leur langage se déstructure et devient un jargon. Par exemple, un schizophrène pourra traiter un infirmier qui veut l’obliger à sortir de son lit pour aller déjeuner ‘d’idiocile’, mélange ‘d’idiot’ et ‘d’imbécile’.

A l’autre extrême de la gamme émotionnelle, les chrétiens membres de groupes charismatiques saisis par des sentiments de louange ou d’action de grâces se mettent à ‘parler en langue’ pour quelques temps. On entend sortir de leur bouche un flot de syllabes assez mélodieux que certains autres participants qui sont dans le même état peuvent parfois interpréter. Bien que les littéraires soient des spécialistes du langage, ils n’osent que rarement faire ‘exploser’ ce dernier. Il fallait avoir la vitalité d’un Rabelais, alliée à une bonne connaissance du latin, du grec et sans doute des dialectes français de l’époque pour pouvoir former à profusion des mots nouveaux. L’impression qu’il cherche à transmettre au lecteur est celle de richesse intellectuelle et de comique tout à la fois. Les auteurs qui l’ont suivi ont été plus ‘sérieux’, plus ‘secondaires’ dirait-on en langage psychologique. Même Victor Hugo, qui déclarait vouloir mettre ‘un bonnet rouge’ au dictionnaire ne s’est pas trop risqué à forger des mots nouveaux, si ce n’est des noms propres. Son ‘bonnet rouge’ est devenu avec le temps un bonnet de nuit bien bourgeois…Il s’est risqué une fois, à la fin de ‘Booz endormi’ à dire : ‘Tout reposait dans Ur et dans ‘Jérimadeth’, car effectivement, il y avait une rime à ‘- dait’ qui devait annoncer ‘…et Ruth se demandait…’

Actuellement, certains adolescents utilisent le ‘vers-l’en’, le langage à l’envers ; c’est évidemment lié à un désir de manifester une révolte, une non possibilité de communiquer ce qu’ils vivent au reste de la société. En tenant compte de tous ces éléments, on comprend mieux qu’il y ait une certaine résistance psychologique à faire des ‘mélanges de mots’. Il peut y avoir par exemple la peur de retenir les mots intermédiaires qui n’existent pas plutôt que le mot final en anglais. Je dois dire que cela ne m’est pratiquement jamais arrivé. En Inde, les gens aimaient découper les mots pour faire ce qu’on pourrait appeler des ‘étymologies populaires’. Cela permet d’associer directement au mot sur lequel on réfléchit d’autres notions que l’on veut y mettre, en prenant comme prétexte une syllabe commune. Les auteurs médiévaux d’Occident utilisaient aussi ce procédé. S’il a perduré en Inde, c’est peut-être dû à l’influence du sanskrit, langue qu’on ne peut comprendre qu’en découpant les mots composés, souvent assez longs, en parties signifiantes. Le procédé indien des ‘étymologies populaires’ ne fait que continuer cette analyse, simplement en la poussant un peu plus loin et en se servant d’associations plus libres, par exemple en prenant le prétexte d’une syllabe commune.

Les techniques de mélanges de mots semblent purement auditives ; qu’en est-il pour ceux qui ont une ‘mémoire visuelle’ ? Pour répondre à cette question, il faut déjà dire que le langage est avant tout du domaine auditif, si on prend ‘langage’ dans son sens ordinaire. C’est une donnée de départ, il faut faire avec. Des moyens qui maintiennent l’esprit dans la sphère de l’auditif sont plus légers, et plus directs, que des méthodes qui font faire constamment des va-et-vient de la sphère auditive à la sphère visuelle. De plus, rien n’empêche, surtout au début, d’utiliser aussi les mélanges de mots, de manière visuelle, c’est- à-dire en écrivant les mots intermédiaires entre le mot de départ et le mot d’arrivée. Quand on s’observe, on s’aperçoit que ‘penser dans une langue’ reste en fait très longtemps la faculté de traduire rapidement du français dans cette langue ; à l’inverse, ceux qui peuvent ‘penser dans une langue’ seront capables de traduire rapidement en français ce qu’ils disent dans cette langue, même si la traduction n’est pas complètement précise. On ne peut guère se passer de cette phase d’association rapide pour laquelle les ‘mélanges de mots’ sont utiles.

En dehors de l’apprentissage des langues proprement dit, les mélanges de mots peuvent être employés pour la mémorisation de textes, par exemple de la poésie. J’ai toujours aimé apprendre des textes poétiques par cœur, d’abord en français, puis en latin et maintenant en sanskrit. Souvent, on retient assez facilement un demi vers, un vers ou une strophe, mais on a un problème pour reprendre la suite du texte. Quand on n’a pas de ‘souffleur’ à sa disposition pour ‘relancer la mécanique’, comment faire ? On peut tout simplement mélanger certains mots. Prenons par exemple, pour rester dans les grands textes, l’avant-dernière strophe du ‘Booz endormi’, dont nous citions le début ci-dessus :

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre Brillait à l’Occident, et Ruth se demandait…

Il s’agit d’inclure le mot de début d’un vers dans la seconde moitié du vers précédent, en prenant comme lettre charnière une lettre, ou une syllabe commune. Avant de montrer en pratique ce que cela peut donner, je commence par demander pardon intérieurement à Victor Hugo pour les tortures étranges que je vais faire subir à son texte : heureusement, cela ne durera pas…

Tout reposait dans Ur et dans *Jer-astre-adeth’
Les astres émaillaient le ciel *proissant’ et sombre
Le croissant fin et clair, parmi ces fleurs de *l’ombrill’… *Br-Ruth-llait’ à l’Occident, et Ruth se demandait…

Entre le troisième et le quatrième vers, Hugo nous a donné un lien immédiat ‘ombre- brillait’. J’ai ‘inclus’ ‘Ruth’ dans ‘brillait’, car la strophe se finit, d’après son sens logique, après ‘à l’Occident’ ; on peut donc facilement prévoir un éventuel ‘trou’ de mémoire avant de reprendre ‘et Ruth se demandait’.

De manière générale au cours des études, on retombe souvent sur un type particulier de problème de mémoire. Il y a disons huit points-clés à retenir pour une question d’examen : on se souvient immédiatement d’un ou deux, on trouve en recherchant quatre ou cinq autres, et il y en a un ou deux dont on n’arrive jamais à se souvenir. Là encore, les mélanges de mots peuvent aider : il s’agit de résumer les points-clés en formules-clés, les formules-clés en mots- clés, et d’associer par mélange les quelques mots-clés qu’on oublie toujours à ceux qu’on retient toujours. J’avoue que j’ai développé les méthodes de mélanges de mots surtout pour perfectionner mon anglais et pour apprendre l’hindi et le sanskrit. J’avais déjà passé mes diplômes, et je n’ai donc guère eu besoin d’utiliser ces procédés pour mémoriser les mots-clés de questions ‘tombales à l’examen’. Cependant, rétrospectivement, je me dis que ces techniques m’auraient été bien utiles pour mes études de médecine. Pour beaucoup de matières, les examinateurs qui corrigent une copie attendent d’y voir un certain nombre de mots-clés, d’où l’utilité d’apprendre par association de mots-clés. Malheureusement, tout ceci ne dispense pas de travailler un petit peu quand même…

J’espère que ces réflexions et idées pour développer en particulier la mémoire des langues aideront les étudiants à tenir leur place dans l’Europe unie. Les gouvernements peuvent abattre les frontières douanières, mais il n’y a que les individus qui puissent abattre les frontières linguistiques en apprenant les langues des pays voisins ; cela ne se fait pas du jour au lendemain. Je souhaite au lecteur de développer sa propre expérience des procédés décrits ci-dessus ; qu’il apprenne en se jouant à mélanger les mots comme le peintre ses couleurs, ou le parfumeur ses essences…

La langue n’est qu’un instrument. Si on trouve des moyens de l’apprendre rapidement, cela permet de consacrer le temps gagné à autre chose. Certes, on parle à juste titre de l’art de la mémoire, que chacun développe à sa façon dans la mesure où il veut réussir dans ses études ou dans sa profession ; mais je voudrais également mentionner l’existence d’un ‘art de l’oubli’ : en tant que thérapeute du psychisme, je me suis rendu compte que cet art était des plus utiles dans l’évolution affective et intérieure des individus. Qui n’a pas été handicapé, à un moment ou à un autre de son existence, par le souvenir d’un passé qui n’était plus ? Qui ne s’est pas laissé prendre par les reflets des nuages du souvenir sur le lac de l’esprit ? Pour nous qui ne sommes pas Proust, combien de temps perdu à la recherche du temps perdu !…

Au fond, la mémoire habituelle a quelque chose de frénétique : elle cherche à accumuler le plus vite possible le plus de connaissances possibles. Elle veut posséder, et se débat indéfiniment dans le champ clos des acquisitions, c’est une mémoire de l’avoir. Il est cependant une autre mémoire, mémoire pacifique, mémoire antique s’il en est. Elle est en même temps constant rappel du présent. A ce propos, Platon parlait à juste titre de la réminiscence, qu’elle soit du Beau, du Bien ou du Vrai. C’est le souvenir de notre nature authentique, c’est la mémoire de l’Etre.

Dr Jacques VIGNE Hardwar-Bénarès, 1991 , et 2014

 

 

 

NOTES

1) ‘La Suggestopédie’ R.Laffont
2) ‘L’Art de la Mémoire’ Gallimard, coll NRF
3) ‘Relaxation Thérapeutique’ ouvrage collectif, Masson, coll ‘Abrégés’
4) ‘Le Vocabulaire Indo-Européen’ Lexique étymologique et thématique, Librairie

 

SUPPLÉMENT

A) QUELQUES EXEMPLES PRATIQUES DES PROCEDES DE ‘MELANGES DE MOTS’

Il y a en général plusieurs manières de mélanger les mots pour les associer dans la mémoire, il y a plusieurs chemins pour aller de l’un à l’autre. Ces chemins ne s’excluent pas mutuellement, au contraire, plus on en trouve, plus on a de chances de se souvenir de l’association entre un mot et sa traduction. Répétons-le, la méthode ne consiste pas à mémoriser les mots intermédiaires, mais le simple fait de les rechercher et de les trouver aide à mémoriser les mots de départ. En les construisant et en les répétant rapidement plusieurs fois, on s’habitue à manipuler activement les différentes parties des mots à associer dans un ordre différent à chaque fois, ce qui maintient l’attention éveillée ; ce ‘jeu de lego’ à partir de syllabes ou de lettres facilite l’apprentissage.

1) Exemples de base

-‘Trapu’ se dit ‘stabby’. On peut passer de l’un à l’autre par le chemin suivant :

trapu *tapu *stapu *stabbu stabby

-‘Docilement’ se dit ‘doggedly’ ; malgré le ‘do’ initial commun, le mélange suivant ne sera pas inutile pour confirmer l’association :

docilement *doggilement *doggedment doggedly

 

2) Synonymes

-‘To swarm’ signifie ‘pulluler’, mais le mot ‘fourmiller’ donnera plus facilement lieu à un mélange :

fourmiller *swourmiller *swarmiller swarm

 

3) Condensations

-‘To berate’ signifie ‘gronder’, « réprimander » en anglais littéraire. On condense la première syllabe ‘ber’ de ‘berate’ en ‘br’ :

berate *brate *grate *gront gronder

-‘Pilferage’ signifie ‘larcin’ :

pilferage *pilerage *pilarge *pilarcin larcin

-‘Cast’ signifie ‘trempe’ dans l’expression ‘a man of his cast’ ; on condense ‘cast’ pour l’associer à ‘trempe’ sans changer le rythme syllabique de ce dernier on fait donc : ‘a man of his *cstrempe’…

 

4) Inversions

On met la dyslexie qu’il y a en germe chez chacun au service de la mémoire : -‘Farce’ peut se dire ‘prank’ ; on invertit le ‘a’ et le ‘r’ :

farce *frace *prace prank

-‘Marmaille’ se dit ‘brood’ :

marmaille *mramaille *bramaille *broodaille brood

-‘Strapontin’ se dit ‘tip-up seat’ :

strapontin *seatpontin *seat tipon *seat tip-up tip-up seat

 

5) Mots composés

On peut mélanger les mots composés ou expressions toutes faites au même titre que les mots simples : ‘pierre d’achoppement’ se dit ‘stumbling block’. L’association la plus délicate sera entre ‘achoppement’ et ‘stumbling’ : on peut créer les mots intermédiaires : ‘pierre d’*astoppement’ et ‘pierre d’*astumblement’ en se fondant sur la similarité du ‘-pp’ et du ‘b’.

-‘To skip off’ est une expression familière signifiant ‘s’enfuir’. Ceux qui savent un peu d’anglais auront tendance à dire a priori ‘to run away’. On peut donc associer les deux déjà par un croisement simple : *to skip away’ et *to run off’ ; on peut ensuite compléter par la technique de l’arc-en-ciel : *to rip away’ ; *to skip away’ ; *to skip off’.

-‘Nay’ signifie ‘qui plus est’, ‘voir même’ ; il est un peu trop long d’essayer d’imaginer une phrase où ‘nay’ peut être inclus ; on peut inclure directement ‘nay’ dans ses traductions françaises par exemple de la façon suivante : *qui plus nay’ et *voire nay’.

 

6) Mélanges de mots spontanés

Chaque langue fait ses mélanges de mots spontanés qu’on sent bien quand on en a une certaine habitude : si l’on connaît le sens de ‘to snap’ ‘briser’, ‘to snatch’ ‘saisir vivement’, ‘to snip’ ‘entailler légèrement’, on ne s’étonnera pas trop du sens de ‘to snick’ ‘tailler d’un coup de ciseau’.

-‘Se sentir fébrile’ pourrait se traduire par ‘to feel feverish’, mais les anglais diront volontiers ‘to feel shivery’ (‘se sentir tremblant’). Pour se souvenir de cela, on peut mélanger ‘feverish’ et ‘shivery’ en faisant une boucle :*feverish-shivery-feverish-sh…’

– Dans l’expression familière ‘to hog the road’ signifiant ‘tenir la route’ en parlant d’une voiture, on pourra faire un rapprochement bien sûr avec un sens de ‘to hog’ qui signifie ‘s’arquer’, mais on pourra penser également au mélanges de mots possibles avec ‘to hold the road’ et ‘to hug (embrasser) the road’… Cela aidera la mémorisation.

– De même, pour apprendre l’expression ‘a callow youth’ ‘un jeune inexpérimenté’, ‘un novice’, on pourra associer cela à l’idée de ‘a shallow calf’ ‘un veau superficiel’…etc…

 

7) Mélanges d’expressions

On peut mélanger les expressions à la manière des mots, en prenant toujours autant que possible les lettres ou syllabes similaires :

– ‘To be on the right tack’ signifie ‘être sur la bonne voie’. Ici, il suffit de mélanger ‘voie’ et ‘tack’, par exemple : ‘to be on the right *toie’. Comme on sait en général traduire ‘voie’ par ‘way’, on peut faire un second mélange : ‘to be on the right *wack/*tay’. Il y a sans doute un ‘mélange spontané’ entre ‘tack’ et ‘track’.

– ‘Embêtant comme la pluie’ se dit ‘as dull as ditchwater’. L’association entre ‘embêtant’ et ‘dull’ est plus aisée qu’entre ‘pluie’ et ‘ditchwater’. Ce sera donc sur ces deux derniers termes qu’il faudra insister, en faisant par exemple : ‘as dull as pluitchwater’…

– ‘Avoir la langue bien pendue’ se dit ‘to have a glib tongue’. L’association à renforcer sera entre ‘pendue’ et ‘glib’. On pourra faire par exemple : ‘avoir la langue bien ‘glandue’…

– Dans certains cas, un mot traduit une expression. Pour retenir que ‘fiddle’ signifie ‘jouer du violon’, on peut créer l’expression intermédiaire : ‘jouer du *fiddlon’ en jouant sur la similarité du ‘fi-‘ et du ‘vi-‘.

8) Calembours

– On peut rassembler ainsi différents sens de ‘scrap’ et de ‘scrape’ en faisant une phrase qui n’a guère d’intérêt, si ce n’est mnémonique. Il ne s’agit pas de s’en souvenir à long terme, mais seulement de la construire et de la répéter un petit nombre de fois : ‘I put the scraps into a scrap paper and I scrapped them along with the scrap iron, but this created a scrap with my wife and I got into a scrape…’ (‘J’ai mis les restes du repas dans un papier brouillon et je les ai mis au rebut avec la ferraille, mais cela a provoqué une querelle avec ma femme et m’a mis dans le pétrin…’).

– Donnons un second et dernier exemple de phrase du style : ‘Un chasseur sachant chasser sans son chien…’ : ‘I grubbed out the grubby grub who was grubbing about in the grave, but it did not bear me any grumpy grumble afterwards’. (‘J’ai extirpé le sale asticot qui farfouillait dans la tombe, mais après, il n’a pas manifesté à mon égard de rancœur renfrognée…’).

 

B) RESUME DE QUELQUES TECHNIQUES COURANTES

Nous avons donné dans cet article une idée assez détaillée des manières de passer progressivement d’un mot à l’autre en exploitant les moindres similarités qui deviennent autant de points d’ancrage de la mémoire. Cependant, toutes les techniques n’ont pas besoin d’être utilisées pour associer deux mots donnés. Il peut être intéressant, à la fin de cet article, de résumer des techniques qui s’avèrent être courantes et suffisent souvent à créer ou à renforcer une association entre deux mots.

I) La méthode d’inclusion associée à celle de l’arc-en-ciel

-‘ Pulsation’ se dit ‘throb’, on peut faire la transformation suivante : pulsation

*thrulsation *throlsation *throbsation throb

-‘ Tressaillement’ se dit ‘thrill’ : tressaillement

*thressaillement *thrissaillement *thrillaillement thrill

2) Croisements de mots longs sur une ‘charnière’

a) Lorsqu’il y a une seule lettre commune entre deux mots, ça sert de charnière :

mosaïque tessellation

indifférence listlessness

*mos selation *tes saïque

*lis différence *in thlessness

certificate testimonial

thunderbolt coup de foudre

*certimonial *testi ficate

*thun de foudre *coup derbolt

b) Lorsqu’il y a une structure préfixe-thème ou thème-suffixe analogue, on se sert de cette séparation sémantique comme charnière :

nuisible *nuiful explosion (émotionnelle) *ex burst harmful *harmsible outburst *out plosion

Une fois que le lecteur a assimilé les règles de départ, créer de nouvelles associations entre les mots devient pour lui un jeu, et il peut alors rapidement développer son intuition mnémonique pour trouver le meilleur chemin de transformation d’un mot à l’autre.

 

C) COMMENT APPRENDRE UN VOCABULAIRE DIFFICILE :L’EXEMPLE TIBETAIN

Le tibétain a un vocabulaire difficile car les mots sont non seulement complètement différents, mais comportent des prononciations inhabituelles et se ressemblent souvent étrangement. Il ne semble y avoir aucune prise pour la mémoire. J’ai résumé ici les méthodes qui m’ont paru les plus utiles pour mémoriser du vocabulaire en tibétain, en prenant comme critère la présence ou l’absence de lettres communes ou similaires, liquides, nasales, mais aussi sourdes ou sonores.

1) Présence de lettres communes ou similaires
10) Présence de plusieurs lettres
100) Présence de plusieurs lettres dans le même ordre
1000) Techniques de condensation

-‘Mental wandering’ se dit ‘l’phro ba’

Les lettres similaires ont été notées (dans l’ordre) par : ‘l’, ‘w/ph’, ‘r’. Pour passer du mot anglais au mot tibétain, on peut suivre le chemin suivant :

Mental wandering *l’wandering

*l’phandering *l’phring *l’phro

l’phro ba , avec la terminaison nominale habituelle ‘ba’. La partie ‘ande’ qui était en trop a été effacée par condensation.

– ‘Obscuration’ se dit ‘sgrib’

obscuration *scuration *sguration *sgration *sgrition

sgrib

1001) Technique de dilatation

– ‘Impur’ se dit ‘ma dag pa’i ‘ ( les lettres ‘m’ et ‘p’ sont similaires) : Impur

*Im ma dag pur ma dag pa’i

101) Présence de plusieurs lettres dans un ordre différent

Il faut procéder à des inversions qui, si elles ne sont pas faites consciemment au moment de l’apprentissage, ne se feront peut-être pas au moment de la récitation et donneront lieu à des erreurs de mémoire.

– ‘Secret’ se dit ‘gsang’ (‘s’ et ‘c/g’ sont similaires) : secret

*cseret *gseret gsang

– ‘Gross’ se dit ‘rgas’ (‘r’ et ‘g’ doivent être inversés) gross

*rgoss *rgass rgas

– ‘Destruction’ se dit ‘zhig’
destruction

* struction * tsruction

  • *  sruction
  • *  zruction
  • *  zhuction
  • *  zhiction
  • *  zhigtionzhig

– ‘Yoga’ se dit ‘rnal byor’ (on inverse les syllabes) yoga

*gayo *rna byo

rnal byor
Le point d’ancrage mnémonique est ici ‘o’ et ‘a’

11 ) Mots qui ont une seule lettre commune ou similaire

Il s’agit d’un cas assez fréquent, qui semble offrir peu de prise pour la mémoire. On peut cependant utiliser les méthodes suivantes :

110) Croisement sur la lettre charnière – ‘Sutra’ se dit ‘mdo’

sutra *sudo mdo *mtra

111) Inclusion construite à partir de la lettre similaire

– ‘Transférence’ se dit ‘pho ba’ transférence

*transphérence *transpho bence *transpho bace

pho ba

tranquille *tranzhille

zhi

– ‘Needing’ se dit ‘slob’
needing

*neebing *nobing *lobing

*slobing slob

2) Mots qui n’ont aucune lettre commune ou similaire

Ce sont les mots qui seront spontanément les plus difficiles à mémoriser. On peut cependant utiliser les procédés suivants :

– ‘Tranquille’ se dit ‘zhi’

20) Synonymes dans la langue de départ

‘Enjoyment’ se dit ‘longs’. Il est utile de rapprocher, après un peu de réflexion, ‘enjoyment’ de ‘longing’ (aspiration), dont le sens, bien que non équivalent, n’est pas trop éloigné ‘d’enjoyment’.

Le passage au synonyme permet aussi d’augmenter le nombre de lettres communes. Plutôt qu’associer le tibétain ‘nges’ à ‘renoncement’, ce qui est sa traduction exacte, on peu l’associer à ‘négation’, ce qui permet d’avoir le ‘e’ et le ‘g’ comme lettres communes en plus.

Plutôt qu’associer le tibétain ‘bde ba’ à l’anglais ‘bliss’, on peut l’associer à ‘béatitude’ qui a plus de lettres similaires.

21) Technique de l’arc-en-ciel

Elle est fort utile pour associer des mots courts qui n’ont rien en commun

Truth *chuth

*choth chos

form wheel *gzorm *fors *kheel *gzurm *fogs *khol *gzugm *fugs

gzugs

Elle est moins effective, mais peut être employée pour associer un mot court à un mot long ; ‘sa’ en tibétain peut signifier ‘territoire’. On crée les intermédiaires suivants : *sa-ritoire’, *ter-sa-toire’, *terri-sa’.

3) L’association par famille de sens ou de sons

Cette technique est fort utile quand on apprend beaucoup de mots en même temps, pour ne pas les confondre les uns avec les autres, ou avec ceux qu’on a appris précédemment.

30) Famille de sons

On regroupe les presqu’homonymes en tibétain dans une phrase qui permet de les associer en les différenciant. La phrase n’aura guère de sens, là n’est pas la question. Par exemple : ‘Après la prise (dzin) du pays (zhing) est survenue sa destruction (zhig)’

31) Famille de sens

On rapproche les synonymes entre eux, ou les contraires. Par exemple, on rapproche ‘dga ba’ (joie) de ‘bde ba’ (félicité). Ce principe des familles n’est pas original, on le retrouve dans la plupart des méthodes de langues. On peut cependant se servir des techniques ci-dessus pour associer les synonymes tibétains entre eux ; par exemple en faisant un passage progressif de ‘dga’ à ‘bde’ par l’intermédiaire de *gda (inversion) et *bda. Ce genre d’association ne doit pas être fait entre deux mots qu’on est en train d’apprendre, car il y aurait risque de confusion. Un des deux mots doit déjà être bien connu

Dr Jacques VIGNE

 


La parole répétitive, gestion de la douleur

La parole répétitive,
vecteur puissant de l’amélioration de la douleur.

Nous arrivons à ce thème de la parole répétitive, une pratique qui fait partie intégrante du traitement méditatif de la douleur. Nous sommes dans un domaine qui est à la limite entre la psychologie moderne et traditionnelle, les paroles répétitives pouvant être utilisées dans un cadre religieux ou dans un cadre laïque. Il s’agit donc d’un chapitre de transition avec la partie suivante, où sera développée explicitement la manière dont les traditions religieuses peuvent aider à dépasser la douleur et dans un sens plus large la souffrance.

J’ai été intéressé, depuis longtemps, par ce thème de la parole répétitive, le sujet de ma thèse de médecine par exemple a été : La répétition, physiologie, psychologie et tradition. La première pensée qui me revient à l’esprit, pour présenter l’intérêt de la parole répétitive, en cas de maladie et de douleur, vient de Swami Shivânanda, dont l’ashram est à Rishikesh, sur les bords du Gange. Il avait été médecin généraliste et était, ensuite, devenu moine hindou. Il expliquait que, quand on avait essayé toutes les thérapies, régulières ou alternatives et que rien ne marchait, on pouvait toujours pratiquer la mantra thérapie… Je peux donner dans ce sens aussi un souvenir personnel récent : j’ai un frère dont j’étais proche qui est décédé d’un cancer du poumon, le traitement qui avait fonctionné un moment était de moins en moins efficace et il déclinait. Comme il était de tradition catholique et expert en chant grégorien, il s’était aidé, pendant toute cette longue maladie, avec des formules répétitives tirées, principalement, du chant grégorien. Cela a bien aidé à ce qu’il développe une certaine stabilité, dans l’épreuve et même un bon sens de l’humour, pratiquement jusqu’à la fin. Il réussissait même à faire rire l’équipe du service de réanimation cancérologique de l’Institut Curie qui n’est pas, a priori, un endroit prévu pour ça. Il me disait, à certains moments, qu’il pratiquait tout le temps une formule répétitive ou une autre ; en effet, que faire quand le corps part en morceaux ?

Que ce soit dans les religions monothéistes, dans l’hindouisme ou dans la plupart des écoles bouddhistes, mis à part le theravâda, la répétition est non seulement présente, mais souvent centrale. Le chemin du mantra est comme un sentier dans l’herbe, quand on voit une trace où l’herbe est bien tassée, cela montre que beaucoup de gens sont passés par là et donc que ce chemin mène quelque part. Je me souviens d’une fête de l’école à laquelle j’avais été invité dans un village situé en contrebas de notre ermitage, un « contrebas » au sens de l’Himalaya, c’est-à-dire avec un dénivelé de 900 m… Le groupe reprenait des chants religieux qu’il aimait bien, et l’un d’eux disait en substance : « Répète le Nom de dieu, si tu expires sans le réciter, ton expiration ne sert à rien ! » Il est intéressant de voir que ce que comprennent les pratiquants de ce village est mal saisi, interprété et pratiqué par un certain nombre d’intellectuels, en particulier occidentaux. Ils ont la tête surchargée de livres et de référence, si ce n’est pour certains des dizaines d’années de pratique de psychanalyse où l’on parle, a priori, sans aucun travail systématique de concentration. Certains sentent, pourtant, qu’une pratique répétitive pourrait les aider, mais ne veulent pas faire le pas.  Disons-le clairement, c’est probablement parce qu’ils ont peur de sortir du dogme de leur chapelle de pensée.

Le Bouddha ne parle pas du mantra, mais même dans le Theravâda qui est proche de son enseignement, certaines formules sont tellement répétées qu’elles ont à l’évidence le rôle de mantra, en pali. Donnons, par exemple, Namo tassa Baghavato Arahato samma sambuddhassa « Salutations au Seigneur Noble qui a la perfection de l’éveil complet ». De plus, j’ai été surpris, par exemple, lors de ma dernière visite de cinq semaines, en Thaïlande, dont j’ai passé une bonne partie dans une ambiance monastique, de l’importance concrète de la pratique de paroles répétitives, dans les exercices quotidiens des laïques et jusqu’à un certain point, des moines. Ce n’est pas dans les textes canoniques, mais ils le font couramment.

La Parole qui relie-délie

Une parole sacrée ou une parole à laquelle nous décidons de donner un sens sacré nous relie, directement, à l’au-delà du mental. C’est son intérêt central. Dans ce sens, elle délie toute sorte d’attaches inutiles et nous libère. On pourrait même dire qu’elle délite toute sorte de colles et de solidifications qui empêchaient la libre circulation de l’énergie en nous, comme l’athérosclérose ou les caillots gênent une bonne santé artérielle. La parole qui délivre-délite désagrège nos solidités-rigidités, nos obsessions privées, nos idolâtries secrètes, nos déifications-réifications qui sont les véritables obstacles, sur le chemin intérieur.

Du point de vue laïque, la parole répétitive convertit la lumière de notre esprit ordinaire qui est plutôt dispersée, déphasée, en un laser bien concentré. Elle stoppe notre mental par défaut qui est, pour jouer sur les mots, le défaut fondamental de notre conscience, pour le remplacer par l’attention focalisée. C’est la fondation, non seulement de l’efficacité de la méditation, mais de la transformation intérieure. Et quand on s’attaque à un problème coriace comme celui de la gestion de la douleur et, plus généralement, de la souffrance, on a besoin d’instruments efficaces.

Les formules répétées dans les pratiques religieuses, qui tendent, en général, à aller au-delà de la douleur et de la souffrance, ont la force de la tradition. Elles ont été pratiquées par des centaines de générations et elles ont mené un certain nombre de personnes à une libération complète. Elles ont été trouvées, dès le départ, par des sages avec un haut niveau de réalisation. Elles nous ont été transmises, en principe, par un maître qui les a pratiquées, à fond. Si en plus le disciple a confiance dans cette parole, cela donne de multiples raisons, pour que la répétition soit pleinement efficace. Cependant, la répétition laïque d’une formule qu’on peut trouver par soi-même a aussi toute sa valeur. C’est comme une hygiène de base, pour bloquer le mental, par défaut, et favoriser son antidote, c’est-à-dire l’attention focalisée. L’image qui me vient à l’instant à l’esprit est le mouvement de va-et-vient, pour se laver les dents. Il contribue, régulièrement, à éliminer les déchets qui, sinon, se décomposent, risquant ainsi d’être source de maladie chronique, on s’en aperçoit, de plus en plus. Ce qui est valable pour l’hygiène buccale l’est aussi pour l’hygiène mentale.

L’intérêt de choisir la parole qu’on répète est qu’on sent intérieurement ce dont on a besoin, d’un jour sur l’autre. C’est comme trouver chaussure à son pied. Si on répète une parole qu’on a reçue d’un maître spirituel, il faut accepter qu’il y ait une certaine dépendance à son égard. Cela est une grande aide, si le maître a un haut niveau, mais peut devenir un grand risque, voir un boulet au pied, si le soi-disant maître est un grand menteur qui n’a pas du tout le niveau qu’il prétend avoir. La prudence est donc de mise.

Quoi qu’il en soit, il est urgent d’utiliser toutes les possibilités que nous avons, pour stopper le bavardage mental. C’est comme une hémorragie qui nous épuise et, en plus, la plupart des gens n’en sont pas conscients. Cela peut être dû au fait qu’ils trouvent une certaine détente dans le divertissement, les réseaux sociaux, les informations peu utiles, franchement inutiles, voire même carrément négatives. Mais cette détente est à court terme, elle est comme une blessure, elle se « surinfecte », ensuite, de toutes sortes de négativités. Nous avons une déchetterie intérieure à nettoyer où les objets se sont accumulés, pratiquement depuis notre naissance. Pour cela, on a besoin de faire venir des colonnes de poids-lourds. La Parole pure, répétée avec une attention complète, est un de ces « poids-lourds », une manière importante et efficace d’effectuer ce travail de fond.

Depuis, maintenant, environ un demi-siècle que je pratique la parole répétitive, j’ai ce sentiment, à chaque fois que j’y reviens, d’entrer dans un fleuve. On ne peut pas ne pas penser à une image récurrente du Bouddha qui distingue quatre stades, ceux qui sont entrés dans le fleuve, ceux qui reviendront une seule fois pour se réincarner, ceux qui ne reviendront pas, et les nobles, arahat, qui ont atteint la perfection. Au début, il faut un certain effort pour pousser sa barque de la rive, vers le milieu du fleuve, mais ensuite, c’est lui qui nous mène, jusqu’à l’estuaire qui s’ouvre sur l’océan. De plus, le fleuve à la capacité, jusqu’à un certain point, d’emporter la pollution et de se régénérer.

Cette parole qu’on répète, qu’on pourrait nommer « Parole pure », peut être souvent liée à une image, une métaphore. Prenons par exemple le mantra tibétain, certainement, le plus célèbre, Om mani padme hung, « Om, le joyau est dans le lotus, hung » : c’est une image de la conscience, dans le corps, de la nature de l’esprit à l’intérieur même du Samsara et du monde des phénomènes. Cette métaphore devient le centre de la pratique. Cette idée des images et métaphore plaira certainement aux pratiquants de l’hypnose éricksonienne qui utilisent, largement, la métaphore dans leur pratique et sont en fait proches de la méditation. La différence c’est que dans la thérapie par hypnose, on n’a pas une concentration massive sur une métaphore donnée, comme l’ont ceux qui pratiquent la récitation du mantra ou d’autres prières répétitives traditionnelles.

Les métaphores simples peuvent se traduire en formules tout aussi simples et faciles à répéter, même dans un contexte laïc. Prenons par exemple l’image du spéléologue qui découvre une grotte profonde : en l’explorant, il atteint des salles où peut-être aucun être humain n’est venu et qui ont toujours été dans l’obscurité, depuis des centaines de milliers d’années. À l’instant même où il les éclaire, les ténèbres sont dissipées et ce qui devait être vu est vu. C’est une métaphore fondamentale de notre exploration intérieure, qu’elle soit dans le cadre d’une mystique religieuse ou laïque. Ayant compris son sens, on peut l’exprimer dans une formule résumée qu’on pourrait qualifier de truisme signifiant : « Dans la lumière, [il n’y a] plus de ténèbres ! »… Dans mes deux grands livres de mystique comparée, Le mariage intérieur et La mystique du silence, je donne de multiples images et métaphores qui peuvent déboucher sur des formules qu’on peut répéter, pendant un certain temps. Réfléchissons maintenant sur cette idée : la communion avec la parole est une « comme union ». En effet, il ne s’agit pas d’une union physique, mais d’une expérience intérieure qui est d’une intensité analogue à l’expérience physique, sauf qu’elle concerne le sens subtil de la parole. Cela se clarifie par la pratique.

Venons-en maintenant au lien entre la répétition d’une formule et l’expérience non duelle. Il ne faut pas avoir d’opposition entre les deux pratiques, mais une continuité. De même qu’il n’y a pas d’opposition entre le fleuve et l’océan, simplement, à un moment donné, à un moment de grâce, le fleuve débouche sur l’océan. Prendre l’habitude d’un mode de pensée focalisé, comme nous l’avons dit, représente l’antidote du mode de pensée par défaut. La pensée focalisée permet une purification de notre récipient intérieur, permettant de recevoir le lait de l’expérience non duelle. Sinon, celui-ci risque de cailler, rapidement. Dans une autre image traditionnelle, la pratique répétitive associée à une discipline du comportement, allant dans le sens de l’amélioration personnelle, permet de donner des fondations et des murs à notre temple intérieur. C’est alors qu’on peut poser dessus le toit d’or de l’expérience non duelle, sinon, le toit risquera de faire s’effondrer les murs et tout retombera par terre.

Le Bouddha donne, certes, une grande valeur au vipassana et l’observation pure de l’esprit, comme étape vers la libération, mais il l’équilibre, toujours, avec la pratique de l’absorption méditative, shamatha. Cette dernière permet une purification de base de l’esprit et une pénétration en profondeur des prises de conscience qu’apporte le vipassana. Sinon, on risque d’observer indéfiniment le bouillonnement du mental, sans qu’il y ait de fin. Ce sera un peu relaxant, mais guère plus que cela. Cela peut faire penser à la blague suivante à propos des psychothérapies. Je l’ai déjà racontée dans un autre ouvrage, mais je la reprends ici, car derrière son style léger, elle est vraiment signifiante :

Un homme d’âge moyen arrive dans une boîte de nuit, passe au bar, commande un verre de bière. Jusque-là, rien de spécial, mais en fait, il avait un vice. Quand le verre est servi par le garçon, il regarde celui-ci dans les yeux, avec un regard vide, renverse son verre de bière sur le zinc et part sans payer. Au début, le garçon est stupéfait, puis, ensuite, en colère et crie au visiteur qui est en train de passer la porte : « Espèce de cinglé, tu ferais mieux d’aller voir un psychiatre ! » Un mois après, exactement jour pour jour, le même individu louche revient et refait exactement le même scénario. Le garçon, qui l’avait reconnu, explose de nouveau : « Tu recommences, c’est donc clair que tu n’es pas allé voir un psychiatre ». L’autre de répondre : « Mais si, bien sûr que j’y suis allé ! ». « Et alors, cela n’a pas l’air d’avoir été utile ! ». Le visiteur conclut en disant : « Au contraire, cela a été très utile : avant, j’avais mon obsession de renverser les verres de bière et de partir sans payer, maintenant, je l’ai toujours, mais je ne culpabilise plus ! »…

Quelques critiques courantes à propos des formules répétitives.

Beaucoup d’esprits modernes, habitués à décortiquer les complexités de l’intellect, pensent qu’une pratique qui consiste simplement à répéter la même formule indéfiniment ne peut être bonne que pour les vieilles femmes analphabètes. Il n’est pas faux que ces vieilles femmes peuvent effectivement bénéficier de cette pratique, mais il y a derrière celle-ci toute une réflexion traditionnelle profonde et une connaissance psychologique fine. Par exemple, pour mon livre La mystique du silence, j’ai travaillé sur la question du mantra, et j’ai trouvé une bibliographie de 800 articles et livres en anglais, sur le sujet. On ne peut donc pas dire qu’il n’y a pas de réflexion à ce sujet-là, c’est plutôt ceux qui critiquent cette pratique comme incompatible avec la réflexion qui montrent le niveau superficiel de leur propre pensée ! Dans ce sens, l’opinion de David Richardson, grand spécialiste de neurosciences et des études sur la méditation, est importante. Il reconnaît que c’est pour toute une série de raisons que la grande vague actuelle des études sur la méditation s’est centrée sur la pleine conscience, c’est-à-dire une observation des sensations, sans recours à des formules répétitives. Mais il est tout à fait au courant que la méditation des formules répétitives est pratiquée par un nombre considérable de fidèles ou de sujets intéressés par la psychologie sur notre planète et reconnaît qu’il faudra que la science s’en occupe, de plus près. En fait, le travail est déjà bien entamé grâce aux mouvements de Méditation transcendantale qui font des études en laboratoire, sur les effets du mantra, depuis les années 1970. Ils en ont publié peut-être 1500. Quand on sait le temps et l’investissement d’énergie que prend une étude scientifique, c’est un effort qui est loin d’être négligeable. Cependant, les critères des recherches sur la méditation sont devenus plus rigoureux, depuis un demi-siècle et un certain nombre d’études faites par ce mouvement mériteraient d’être reprises, pour être confirmées. De plus, les scientifiques ont été gênés, depuis le début, par le fait que ces études aient été régulièrement exploitées par le gourou, Mahesh Yogi, pour essayer de prouver que sa méthode était la meilleure du monde. C’est un problème général des pratiques de formules répétitives : chaque mouvement ressort la sienne et essaie de laisser entendre voire affirme, haut et fort, qu’elle est la meilleure qui soit. Ces assertions discordantes font évidemment sourire les gens qui réfléchissent un tant soit peu. C’est pour cela aussi que les scientifiques ont eu des réticences à étudier cette méthode des formules répétitives, mais ils rattraperont leur retard.

Utiliser la parole pour stopper le mental par défaut, qui est immature, infantile et vient régulièrement se mettre en travers de la communication et de l’évolution intérieure efficace, est une pratique courante. Elle est étudiée même au-delà de la répétition d’une formule. C’est le thème d’un livre qui mérite d’être cité, d’un grand spécialiste des neurosciences, de la méditation, Andrew Newberg, associé à Mark Robert Waldman[i]. Une des leurs idées centrales est que, lorsqu’on réussit à stopper le mental par défaut, on se met facilement en miroir du cerveau de l’autre et c’est seulement à ce moment-là qu’on peut le comprendre en profondeur. Rappelons qu’une des meilleures manières de stopper le mental par défaut est d’utiliser une formule répétitive. Leurs méthodes est employée dans des milieux très différents, depuis les entreprises jusque dans les milieux des travailleurs sociaux et de santé, ainsi que dans celui des conseillers religieux ou spirituels.

Une critique superficielle, à propos de la répétition de formule, c’est que cela favorise une entrée dans une forme de lavage du cerveau. Remplaçons ce terme par « nettoyage du mental » et nous retomberons sur nos pieds, en arrivant à quelque chose dont, à l’évidence, tout le monde a besoin. Cette critique a été répandue, en Occident, en particulier par Krishnamurti. Cependant, quand on lit attentivement sa biographie, on voit qu’il a eu, lui-même, une mauvaise expérience avec le mantra, quand il avait environ 25 ans. À cause de la concurrence pour la succession d’Annie Besant, à la tête de la Société théosophique, il s’est mis tout d’un coup dans la tête qu’il devait effectuer une pratique intensive, pour obtenir beaucoup expériences spirituelles, comme ses concurrents affirmaient en avoir. Ainsi, il s’est lancé dans le mantra, à  corps perdu. Comme il n’était pas préparé, cela s’est mal passé et il a développé tous les signes d’une bouffée délirante aiguë. Il a pu se récupérer, mais il en a gardé une sorte de peur panique du mantra et de la méditation les yeux fermés. Ceci fait plutôt sourire, quand on sait qu’en particulier en Inde, mais aussi dans beaucoup d’autres pays, des millions de gens effectuent ce type de pratique depuis des siècles, voire des millénaires, sans problèmes spéciaux. J’en parle dans mon article Krishnamurti était-il un gourou ?[ii]

Une autre critique tout à fait licite est de dire qu’on peut accumuler un grand nombre de répétitions d’une formule, sans devenir une meilleure personne. C’est vrai qu’il s’agit d’un problème réel. Déjà, remarquons que c’est une objection qui est valable, pour à peu près toutes les pratiques de psychothérapie ou de spiritualité : on peut en faire, pendant longtemps, sans s’améliorer, voire même en aggravant son état. Une des raisons fréquentes est qu’on fait la pratique avec la tête, et non le cœur, et c’est dans le cœur que les transformations profondes s’effectuent. Une des clés pour dépasser cet obstacle est de revenir à une motivation authentique, comme on dit par exemple dans le bouddhisme : « Tourner son esprit vers le dharma ». Cela fait référence à une histoire racontée par Patrul Rimpoché[iii].

Un pratiquant bouddhiste tibétain faisait ses prosternations.  Son maître le voit et lui dit : « Ce que tu fais n’est pas mauvais, mais tu ferais mieux de pratiquer le dharma ! »  Le laïque est un peu chiffonné, mais il continue ses pratiques. Le lendemain, son maître le voit en train de tourner autour du stupa. Au lieu de le féliciter, il lui dit de nouveau : « Ce que tu fais n’est pas mal, mais tu ferais mieux de pratiquer le dharma ! » Même réflexion, le troisième jour, tandis que le disciple était en train de réciter son chapelet. Là il explose en s’exclamant : « Mais n’est-ce pas ce que je fais tout le temps, pratiquer le dharma ? ! » Le maître répond : « Non, car pour vraiment pratiquer le dharma, tu dois tourner ton esprit vers le dharma ! »

Je me souviens que c’est par cette histoire que Tenzin Palmo avait conclu environ deux jours d’enseignements, sur un texte important de l’entraînement de l’esprit, pour environ 150 personnes, dans un centre dans la forêt, au-dessus de Dharamshala, c’est dire qu’elle considérait qu’il s’agissait d’une histoire clé.

Il est vrai que la répétition de formules est souvent associée à la religion populaire dont les effets sur la transformation psychique ne sont pas toujours spectaculaires.  Dans ce sens, la psychanalyse s’est sentie investie d’une sorte de devoir messianique, au début du XXe siècle, en proposant sa méthode des associations libres qui, elle aussi, a, en fait, bien des limites et en rejetant tout ce qui pouvait paraître, de près ou de loin, religieux, dont la répétition de formules. C’était typiquement jeter le bébé avec l’eau du bain.  De plus, dans l’Occident moderne, la dispersion mentale entrave une vraie motivation pour la pratique, et à ce moment-là, quelle que soit celle qu’on entreprend, elle aura peu d’efficacité, y compris s’il s’agit de la répétition d’une formule.

Conseils pratiques pour composer ses propres formules à répéter.

Comme je l’ai déjà mentionné, cela fait environ un demi-siècle que je reviens régulièrement à cette pratique de la formule répétitive et il y a certaines lois qui se dégagent avec l’expérience, y compris sur la manière de fabriquer ses propres formules à répéter et les façons d’effectuer la répétition.  Même s’il est bon d’adapter la formule à son évolution intérieure, à chacun de bien s’observer et de comprendre où est pour lui ou elle, selon son état, le juste milieu entre les deux possibilités : changer souvent de formule ou garder la même longtemps. Un phénomène très intéressant est aussi de comprendre qu’une nouvelle formule est comme une porte faite d’un bois neuf, elle va « jouer », pendant quelque temps. Concrètement, il s’agit donc, quand on a trouvé une nouvelle formule, de la répéter pour une certaine durée, par exemple quelques minutes, ensuite de faire autre chose et d’y revenir, tout d’un coup. Juste au moment où on la retrouve, on s’apercevra qu’elle revient, souvent, de façon un peu modifiée. Cette modification correspond, probablement, à une amélioration, une sorte de début de digestion par notre inconscient. Les paroles seront plus équilibrées, avec plus de symétries, d’allitérations, qui tendront à transformer cette formule, au début un peu gauche, en un proverbe, en une maxime de sagesse, comme si elle avait déjà été roulée par des siècles d’utilisation. On peut recommencer ce processus plusieurs fois, il y a un moment où la formule se stabilise et on arrivera, alors, à l’utiliser avec une concentration pleine.

La répétition d’une formule est considérablement aidée par la marche, car elle est relancée à ce moment-là, régulièrement, par la reprise du pas lui-même. On peut, d’ailleurs, faire un petit test très simple. Trouver une formule qu’on veut répéter, s’asseoir, prendre sa montre, la répéter ainsi, en essayant de méditer et d’être attentif et mesurer, plusieurs fois, la durée à partir de laquelle on est distrait, en en faisant une moyenne. Ensuite, il s’agit de refaire le même test en marchant. Probablement, on observera que le temps de concentration est régulièrement plus élevé durant la marche que pendant l’assise. Cela est probablement causé par les phénomènes que nous avons déjà mentionnés, la répétition du pas a tendance à relancer naturellement la répétition de la parole. Pour faire un mauvais jeu de mots, mais quand même signifiant, la parole est pas-rolle, c’est-à-dire comme un pas qui roule…

L’avantage aussi de la marche est qu’elle réveille la joie, et qu’elle stimule les endorphines qui favorisent la concentration. Avec le travail assis, les endorphines sont aussi libérées, mais au bout d’un temps plus long.

Rythmer la répétition avec le souffle

La paix devrait être, à la fois, la cause et la conséquence de la répétition d’une formule. Si on se laisse fasciner, absorber par une formule, à partir d’un état paisible, on ira beaucoup plus loin. À l’inverse, quand le mental est très agité, on peut non pas le refouler, mais le canaliser à travers les « murs en ciment » de la répétition et cela permet de diriger notre énergie « brouillonne qui bouillonne », dans une direction qui sera utile à notre développement psychique, comme l’eau d’un canal va irriguer au loin des terres desséchées.

Pour faire simple, il y a dans mon expérience deux rythmes de répétition qui ressortent comme particulièrement efficaces.

  • La respiration de cohérence cardiaque :

En début de pratique, où l’esprit est encore plutôt agité, on peut prendre le rythme de quatre battements de cœur, à l’inspir, un battement de cœur, poumons pleins, quatre battements de cœur, à l’expir, et un battement de cœur, poumons vides. C’est, en fait, le rythme de la cohérence cardiaque. J’explique souvent dans mes stages et séminaires que l’efficacité de ce rythme, exprimé en termes simples, est probablement liée à sa symétrie : en effet, le quatre correspond à deux fois deux, l’arrêt poumons pleins est symétrique de l’arrêt poumons vides, et l’inspiration est symétrique de l’expiration, même si naturellement les battements de cœur inspiratoires sont plus rapides que ceux expiratoires. En effet, sur l’inspiration, le sang est retenu dans l’abdomen, il y en a donc moins dans les cavités cardiaques et celles-ci peuvent donc le chasser à un rythme plus rapide ; vice versa, pour l’expiration. On a montré que le rythme de cohérence cardiaque était particulièrement efficace, le matin, au réveil. En effet, le cortisol est au maximum à cette période : cela est utile, car cela nous donne du dynamisme pour la journée, mais peut aussi énerver notre mental qui se met à tourner très fort autour des soucis habituels, voire autour des mauvaises expériences de la nuit. On a pu prouver que trois minutes de cohérence cardiaque faites régulièrement avaient le pouvoir de baisser le cortisol de 25%, pendant trois heures[iv], ce qui dans notre contexte est une aide importante.

 

Stéphanie Nocent, psychologue, après nous avoir présenté les bases de la cohérence cardiaque, dans son livre récent et assez complet[v], reconnaît, rapidement, que son effet est plus positif et plus profond, si on l’associe à une formule positive qui sera rythmée donc par la succession des battements de cœur, environ donc quatre ou cinq à l’inspir et quatre ou cinq à l’expir. Je souscris tout à fait à ce point de vue, c’est mon expérience aussi. Le plus simple est d’avoir une syllabe par battement de cœur et d’isoler le battement de cœur, poumons pleins, et poumons vides avec une syllabe neutre. Pour moi qui suis dans le yoga depuis un demi-siècle, j’aime bien mettre le Om, mais ce ne sont pas les monosyllabes signifiantes qui manquent, quand on est dans une tradition donnée. Par exemple, dans la tradition chrétienne, cela pourra être Ie correspondant à Ieshoua, Jésus, ou Ya à Yahvé, etc. Pour un pratiquant de méditation laïque, le a peut être bien, car il s’agit du son originel et fondamental.

Maintenant, si une formule qui nous vient est plus courte, on peut répéter certaines de ses parties pour arriver au rythme de quatre, ou si elle est plus longue, on peut regrouper trois syllabes, sur deux pulsations ou six sur quatre pulsations, pour faire cadrer les battements de cœur et la récitation. Ne pas hésiter donc à faire preuve de souplesse et de créativité. C’est bien de trouver nos propres paroles qui nous touchent, pour une raison ou une autre que nous seuls connaissons, mais pour concrétiser notre propos, je peux donner, quand même,  quelques formules adaptées à la douleur et à la souffrance. Du point de vue neurosciences, on a montré que plus il y avait de synchronisation au niveau cérébral, plus le sentiment d’harmonisation et d’entrée en méditation profonde était naturel. Ici, on synchronise non seulement la respiration et les pulsations cardiaques, mais on ajoute, aussi, la coordination avec les syllabes. Cela fait en quelque sorte une triple synchronisation qui amène à une « triple » pacification.

Donnons maintenant quelques exemples de formules qui peuvent nous aider à gérer la douleur :

 

La joie détruit/Om/toutes les souffrances/Om

Il s’agit d’une formule que ceux qui ont un petit peu d’expérience spirituelle trouveront certainement bonne. Elle peut être utilisée dans le cadre d’une méditation pour tous, mais elle provient en fait de la Bhagavâd Gita, II, 64, la formule complète étant :

 

Dans la joie, toutes les souffrances sont détruites

Celui qui maintient son esprit dans la joie voit rapidement son intuition spirituelle, bouddhi, se stabiliser.

 

Si on utilise par exemple une des méthodes décrites dans le chapitre 1 de cette partie, en l’occurrence mettre une bulle de vide, à l’intérieur de la zone douloureuse, cela peut donner une formule du genre :

 

Dans la douleur/Om/ une bulle de vide/Om

On peut reprendre aussi un développement du chapitre deux, en faisant remarquer que les termes, souffrance et offrande, même si leur préfixe est différent, sont de la même racine fere, porter en latin. La souffrance se trouve a priori par-dessous et l’offrande par devant, la méditation de transformation reviendra donc à suivre un trajet, comme un angle droit, de dessous à devant :

 

Souffrance dessous/Om/offrande devant/Om

Penser à faire/Om/cet angle droit/Om

 

Si on veut se souvenir d’inspirer et expirer à travers la douleur comme à travers un mouchoir, une formule pourra être :

J’inspire-expire/Om/par le mouchoir/Om

Notons ici que le mot douleur n’a pas besoin d’être exprimé, puisque nous avons compris de quelle image il s’agissait. L’idée d’une formule n’est pas de tout décrire, mais d’être juste un rappel d’une idée, d’une métaphore, etc. Ne pas hésiter donc à s’entraîner à traduire les nombreuses explications et comparaisons que je donne, dans ce livre, à propos de la douleur, en des formules « récitables », selon ce rythme de cohérence cardiaque ou l’autre de méditation profonde que je donne ci-dessous. Venons-en donc maintenant à ce second rythme.

 

  • La respiration du sommeil et de la méditation profonde.

Le rythme respiratoire d’un adulte, au repos, en sommeil profond, est d’environ 15 à 16 cycles, par minute[vi], ce qui fait quatre secondes par cycle environ, donc deux battements de cœur à l’inspir et deux battements de cœur à l’expir. Cela vient du fait que le taux métabolique du dormeur est moindre que dans l’activité, il y a donc moins besoin d’oxygène. Avec l’âge, on trouve plus de gens qui peuvent avoir une respiration plutôt superficielle, pendant le sommeil.  Cependant, à chaque fois, il faut mettre à part le sommeil paradoxal où le rythme respiratoire dépend des émotions vécues, dans le rêve. Isabelle Duffle, qui dirige le service de pathologie du sommeil à la Pitié-Salpêtrière, a eu, avec son équipe la curiosité d’enregistrer les mots que prononçait les gens en dormant. Les trois les plus fréquents, sont « non », « putain » et « merde »… Cela veut dire que le sommeil a une fonction de digestion, et finalement de dissociation de la négativité en la faisant ressortir dans le rêve où le corps est complètement relaxé, en particulier à cause de la noradrénaline qui tombe à zéro.

Les chiffres que nous donnons sont pour le sommeil non paradoxal, qu’il soit léger ou profond. Il se trouve que la respiration du sommeil profond correspond aussi à celle de la méditation profonde. On a donc ce rythme de deux battements de cœur sur l’inspir, deux sur l’expir. Cela a un effet calmant, voire, partiellement, analgésiant. A ce propos, B. Alan Wallace raconte qu’une fois, on lui avait prêté une grotte aménagée, pour une retraite d’une semaine, aux États-Unis. Il a remarqué au début de cette période qu’il prenait spontanément la respiration superficielle de 15 cycles par minute dont nous avons parlé. Par curiosité, il s’est dit qu’il allait laisser faire et voir combien de temps cela continuait. Elle s’est poursuivie, pendant toute la semaine et il a eu de nombreuses expériences de méditation profonde. De mon côté, à l’ermitage de Dhaulchina, j’ai observé que, souvent, cette de respiration avait tendance à s’installer et j’ai pris l’habitude aussi de la laisser faire. Si c’est le moment de s’endormir, on s’endormira facilement avec elle, si on souhaite, par contre, rester hyper conscient, elle nous guidera dans les profondeurs de l’expérience méditative.

On peut associer de façon simple cette respiration à des paroles signifiantes, comment on l’a effectué pour la respiration précédente. Ce sera donc deux syllabes sur l’inspir, deux syllabes sur l’expir ; en général, on n’a pas le temps d’intercaler un om. On peut aussi effectuer un dédoublement avec quatre syllabes sur l’inspir et quatre syllabes sur l’expir.

Une cause fréquente d’insomnie et d’excitation non « débranchable » du système sympathique est d’entretenir de l’animosité et des conflits, quand on cherche à s’endormir. Un antidote tout trouvé à cette tendance est d’émettre constamment des vœux de bonheur envers les autres. Le plus simple pourrait être directement : « soyez/heureux ». Cela paraît simpliste, mais peut changer la qualité du sommeil. De manière générale, on fera attention à ne pas se gaver de nouvelles ou de films violents, avant d’aller se coucher, ce serait le meilleur moyen d’empoisonner son inconscient, pendant la nuit et il n’a pas besoin de cela.

Une manière d’intensifier sa pratique de la parole répétitive est d’utiliser la méthode des mots ouverts, ce qui nous amène à la section suivante :

Les mots ouverts

Il s’agit d’une méthode qui m’est venue en 1991, consistant à croiser les mots qu’on veut associer. Cette méthode des mots ouverts a donné lieu à la parution d’un petit livre à Milan, Il giocco delle parole aperte.  « Le jeu des paroles ouvertes ». Commençons, directement, par un exemple. Supposons qu’on veuille apprendre un nouveau mot anglais plutôt rare, sculduggery qui signifie tromperie. Pour associer les deux termes, on créera un mot intermédiaire qui en général n’aura aucun sens, mais qui sera là, seulement pour la mémoire, en faisant schématiquement la première moitié du mot français et la seconde du mot anglais, puis vice versa : cela donnera

trom-duggery

sculd-perie

Au début, on répète, lentement, ces mots parce qu’on n’en a pas l’habitude, puis on augmente la rapidité. Il suffit alors de réciter ces mots hybrides, sur trois ou quatre cycles respiratoires, pour que l’association entre les deux termes soit installée, en profondeur. On trouvera tous les détails techniques sur cette méthode dans l’article, Les mots ouverts, qui est sur mon site[vii] et qui existe aussi, en version anglaise. Si j’avais connu cette méthode, pour mes études de médecine, je pense que j’aurais économisé 50 % de mon temps de travail. Comme il s’agit d’études avec la spécialité qui ont duré 11 ans, le bénéfice n’aurait pas été négligeable… Comme en plus du français, je parle trois langues, assez bien, et quatre autres, suffisamment pour les lire et comprendre, je sais que pouvoir associer deux mots, de façon forte et rapide, est la clé pour progresser rapidement dans ces apprentissages. Au-delà de la mémoire des langues, cela est aussi capacité de l’intelligence associative et est une grande aide, pour la méditation. On peut voir un rapport avec le sommeil paradoxal où la capacité associative est plus rapide, inattendue et créative. Une prise de conscience, en méditation, consiste plus souvent, en termes simples, à rapprocher deux notions, c’est-à-dire deux mots qui semblaient au départ n’avoir rien à voir. L’utilisation des mots ouverts, à la fois, catalyse et stabilise cette faculté d’associer.

Je me suis aperçu, après avoir écrit mon article sur cette méthode en 1991, qu’elle ressemblait fort à un système traditionnel important, pour mémoriser les Védas. Les brahmanes l’utilisent et l’appellent ganapati, littéralement, « la maîtrise des nombres ». On peut discerner aussi dans ce nom un jeu de mots avec le dieu Ganapati, c’est-à-dire Ganesh, le dieu de la mémoire qui a noté les Védas. Pour apprendre par cœur une phrase, on numérote les syllabes, de un à dix par exemple et, ensuite, en la récitant, on effectue des interversions régulières, comme 1-3,2-4, etc., ou à l’envers, 10-8, 9-7, etc. Cela demande une grande attention, et c’est cette attention, elle-même, qui favorise la mémorisation. Le problème de l’apprentissage habituel est qu’on récite les deux mots associés à la queue leu leu, ce qui fait que l’attention se lasse vite, on se met à penser à toute autre chose et donc la mémorisation restera faible. De plus, les deux mots ne s’interpénètrent pas suffisamment. Une image simple pour comprendre ce processus est celle de deux boules de billard, supposez une blanche et une noire, qu’on souhaite coller. Cela ne tiendra jamais, car il n’y a qu’un point de contact entre les deux sphères. A l’inverse, si nous coupons en deux chaque boule et qu’on reconstitue deux sphères blanches et noires, la zone de contact sera maximum entre les moitiés et, donc, le lien tiendra longtemps. C’est exactement ce que l’on fait, quand, au lieu de réciter tromperie-sculduggery, indéfiniment, on crée les mots hybrides. Pour la mémoire des langues comme pour la plupart des autres mémoires, on doit créer des centaines de milliers d’associations. C’est donc mieux d’avoir au moins un système clair et efficace pour le faire.

Quel est donc le rapport de cette méthode des mots ouverts avec les méditations antidouleur ? On aura remarqué, par exemple, dans le premier chapitre de cette partie, qu’un bon nombre de méditations consiste à associer la douleur à une autre notion à laquelle elle n’est pas reliée d’habitude. Par exemple, douleur-plaisir, douleur-bulle de vide, douleur-rire, douleur-bâillement… Pour enraciner rapidement cette association, à la place de répéter ces couples de mots, sans réfléchir, on trouve un moyen simple de fabriquer des mots hybrides pour ensuite les répéter. Souvent, il y a, d’ailleurs, plusieurs solutions, par exemple pour douleur-plaisir :

dou-sir

plai-leur,

mais aussi en intervertissant le premier groupe consonantique c’est-à-dire d et pl,

plouleur

daisir

ou en intervertissant le dernier son :

dousir

plaiseur

Selon la configuration respective des mots, il y a certaines « sous-techniques », qui marchent mieux que d’autres, bien que le simple fait d’ouvrir les mots et de les reconstituer de nouveau a toujours une efficacité de base. On se référera pour cela, de nouveau, à mon article de base Les mots ouverts sur jacquesvigne.com. On pourra reprendre, aussi, pour l’exercice, les 21 méditations contre la douleur, en associant, à chaque fois, le mot douleur à un mot spécifique de la méditation décrite. De manière générale, quand un paragraphe que nous lisons nous semble important, on peut le résumer, en deux mots-clés qu’on associe ensuite, par cette méthode. C’est une bonne manière de mémoriser du contenu. Si c’est même une seule phrase qui nous semble très importante, on résume cette phrase en deux mots-clés et on les associe, de la même façon.

[i] Newberg Andrew, Wladman, Mark Robert How Words Can Change Your Brain: 12 Conversation Strategies to Build Trust, Resolve Conflict, and Increase Intimacy

[ii] sur mon site www.jacquesvigne.com

[iii] Patrul Rinpoché était un sage du XIXe siècle dont le livre Les paroles de mon maître parfait est un classique étudié régulièrement dans les monastères tibétains.

[iv] McCarty R et al., « The impact of a new emotional self-management program on stress, emotions, heart rate variability, DHEA and cortisol”, Integrative Psychological and Behavioral Science, 1998, 33 (2), p. 151-170

[v] Noncent Stéphanie, Défi 30 jours de cohérence cardiaque: 3 fois 5 minutes par jour pour découvrir tous les incroyables trésors de votre coeur et rééquilibrer votre santé préface de David O’Haré, Editions Eyrolles 2021

[vi] https://www.sleepfoundation.org/sleep-apnea/sleep-respiratory-rate

[vii] www.jacquesvigne.com


Mises en éveil Dolorès Soleymieux