Tout le monde n’a pas la chance d’être, comme je l’ai été, Par mes proches, aussi formidablement accompagné L’épreuve arrive comme ça. Sans propos liminaires elle s’infiltre en toi Tu deviens captif de ton émoi, prisonnier de tes choix Et rien n’est simple, ni pour le malade, ni pour l’aidant Qui se le prend lui aussi en plein dans les dents Pour l’un comme pour l’autre, il faut s’approprier un nouveau rôle Accompagner quelqu’un dans la maladie, malgré toi on t’enrôle Comment se comporter en tant qu’aidant ? Comment soutenir la personne malade ? Savoir être au chevet, y a-t-il un mode d’emploi ? Et comment se protéger, comment ne pas être en captivité totale avec la souffrance de celui qu’on aime ? Faut-il habiller ou bien déshabiller la réalité ? Une rafale de questions déferle dans un crâne agité. Dans l’urgence, les aidants bâtissent un rempart contre la peur, Sur le chemin de la guérison ils sont un atout majeur C’est à l’aune du danger qu’on mesure la force de son engagement C’est à la porte des précipices, que l’authenticité se pressent Les liens qui nous unissaient avant étaient parfois tels Que les non-dits prenaient une place essentielle Portés par la maladie, les yeux dans les yeux dans une chambre d’hôpital On n’est pas à l’abri d’enfin prononcer des phrases vitales Il devient urgent de se dire ce qu’on oubliait de se dire De picorer des graines dans une gamelle qui veut de l’avenir On se révèle à des dimensions humaines, à de belles preuves Auxquelles on n’aurait pas eu accès sans l’épreuve Se dire « Je t’aime ». A voix haute ou à voix basse. Ou bien simplement par une présence. Une présence salvatrice. Une présence intense. Une présence fabuleusement humaine. Mais quel sacré voyage d’être une voile plutôt qu’un sillage ! De garder l’église sur la place du village Excommunier les mauvaises cellules C’est bien sûr sortir du confort de sa bulle Et comme disait un abbé solide comme la pierre : « Un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de lumière » Alors, le malade sait qu’il doit se battre, la maladie il la démonte Non seulement pour soi, mais parce qu’on lui indique combien il compte Bien sûr, l’accompagnant se gardera bien des injonctions verglaçantes comme « Mais ressaisis-toi » ! Il évitera le factice déni comme : « Ce n’est pas grave, voyons ! » On ne procède pas toujours par ordonnance ! Mais au contraire, il montrera combien il est capable d’entendre le mal de celui qu’il aime, d’accueillir une part de sa souffrance. La moindre de ses absences fera mesurer l’urgence de sa présence. Il ne parlera pas constamment de ce mal qui étrangle et contraint Il tendra une main vers la vraie vie, il parlera du quotidien Et si vous croisez une de ces belles personnes essentielles N’oubliez pas de prendre également de leurs nouvelles Elles ont aussi le droit de grandir en sollicitude Sans amoindrir la place du patient qui a la vie rude Comme disait le poète, sûrement assis en tailleur au milieu d’un pré vert : « Il y a sur cette terre des gens qui s’entretuent. C’est pas gai. Je sais. Il y a aussi des gens qui s’entrevivent. J’irai les rejoindre. » (c) Philippe Gourdin